CHERS AMIS COMÉDIENS ET FIDÈLES SPECTATEURS DU PETIT THÉÂTRE D'ORIGNY
LE CHOIX DE LA NOUVELLE PIÈCE EST DÉFINIE APRÈS DE NOMBREUSES LECTURES DE TEXTES ÉPROUVANTES...! ! !
CHERS COMÉDIENS, CHOISISSEZ VOTRE RÔLE EST METTEZ VOUS AU TRAVAIL DES MAINTENANT...! ! !
Ce sera pour la saison 2015 / 2016 une pièce tragicomique classique :
L'EUNUQUE
DE JEAN DE LA FONTAINE
À PARIS,
Chez AUGUSTIN COURBÉ, au Palais, en la Galerie des Merciers, à la Palme.
Cette œuvre n'a pas été représentée.
La comédie
"L'Eunuque" est une adaptation libre de celle de Térence qui porte le
même nom. En 1654, l'Eunuque fut la première oeuvre publiée par Jean de La
Fontaine.
PERSONNAGES.
CHERÉE,
amant de Pamphile.
PARMENON,
esclave et confident de Phédrie.
PAMPHILE,
maîtresse de Cherée.
PHÉDRIE,
amant de Thaïs. THAÏS, maîtresse de Phédrie.
THRASON,
capitan, et rival de Phédrie.
GNATON,
parasite, et confident de Thrason.
DAMIS, père
de Phédrie et de Cherée.
CHREMÈS,
frère de Pamphile.
PYTHIE, femme
de chambre de Thaïs.
DORIE,
servante de Thaïs.
DORUS,
eunuque.
SIMALION,
soldat de Thrason.
DONAX,
soldat de Thrason.
SYRISCE,
soldat de Thrason.
SANGA,
soldat de Thrason.
La scène est
à Château-Thierry sur la place du marché.
PARMENON.
Hé bien ! on
vous a dit qu'elle était empêchée :
Est-ce là le
sujet dont votre âme est touchée ?
Peu de chose
en amour alarme nos esprits.
Mais il
n'est pas besoin d'excuser ce mépris ;
Vous n'écoutez que trop un discours
qui vous flatte.
|
PHÉDRIE.
Quoi ! je
pourrais encor brûler pour cette ingrate
Qui, pour
prix de mes voeux, pour fruit de mes travaux,
Me ferme son
logis, et l'ouvre à mes rivaux !
Non, non,
j'ai trop de coeur pour souffrir cette injure ;
Que Thaïs à son tour me presse et
me conjure,
|
Se serve des
appas d'un oeil toujours vainqueur,
M'ouvre non
seulement son logis, mais son coeur.
J'aimerais
mieux mourir qu'y rentrer de ma vie.
D'assez
d'autres beautés Athènes est remplie :
De ce pas à Thaïs va le faire
savoir,
|
Et lui dis
de ma part...
PARMENON.
« Adieu,
jusqu'au revoir. »
PHÉDRIE.
Non, non,
dis-lui plutôt adieu pour cent années.
PARMENON.
Peut-être
pour cent ans prenez-vous cent journées ;
Peut-être
pour cent jours prenez-vous cent moments ;
Car c'est souvent ainsi que
comptent les amants.
|
PHÉDRIE.
Je saurai
désormais compter d'une autre sorte.
PARMENON.
Pour
s'éteindre si tôt votre flamme est trop forte.
PHÉDRIE.
Un si juste dépit
peut l'éteindre en un jour.
PARMENON.
Plus ce
dépit est grand, plus il marque d'amour.
Croyez-moi, j'ai de l'âge et
quelque expérience :
|
Vous l'irez
tantôt voir, rempli d'impatience ;
L'amour
l'emportera sur cet affront reçu ;
Et ce
puissant dépit, que vous avez conçu,
S'effacera
d'abord par la moindre des larmes
Que d'un oeil quasi sec, mais d'un
oeil plein de charmes,
|
En pressant
sa paupière, elle fera sortir,
Savante en
l'art des pleurs, comme en l'art de mentir.
Et n'accusez
que vous si Thaïs en abuse,
Qui, dès le
premier mot de pardon et d'excuse,
Lui direz bonnement l'état de
votre coeur ;
|
Que bientôt
du dépit l'amour s'est fait vainqueur ;
Que vous en
seriez mort s'il avait fallu feindre.
« Quoi !
deux jours sans vous voir ? Ah ! c'est trop se contraindre.
Je n'en puis
plus, Thaïs : vous êtes mon désir,
Mon seul objet, mon tout ; loin de
vous, quel plaisir ? »
|
Cela dit,
c'en est fait, votre perte est certaine.
Cette femme
aussitôt, fine, adroite et hautaine,
Saura mettre
à profit votre peu de vertu,
Et triompher
de vous, vous voyant abattu.
Vous n'en pourrez tirer que des
promesses vaines,
|
Point de
soulagement ni de fin dans vos peines,
Rien que
discours trompeurs, rien que feux inconstants ;
C'est
pourquoi songez-y tandis qu'il en est temps :
Plus selon la raison que selon son
caprice,
|
C'est fort
mal reconnaître et son sexe et l'amour ;
Ce ne sont
que procès, que querelles d'un jour,
Que trêves
d'un moment, ou quelque paix fourrée,
Injure
aussitôt faite, aussitôt réparée,
Soupçons sans fondement, enfin
rien d'assuré.
|
Il vaut
mieux n'aimer plus, tout bien considéré.
PHÉDRIE.
L'amour a
ses plaisirs aussi bien que ses peines.
PARMENON.
Appelez-vous
ainsi des faveurs incertaines ?
Et, si près
de l'affront qui vous vient d'arriver,
Faites-vous cas d'un bien qu'on ne
peut conserver ?
|
PHÉDRIE.
Si Thaïs
dans sa flamme eût eu de la constance,
J'eusse
estimé ce bien plus encor qu'on ne pense,
Et, bornant
mes désirs dans sa possession,
PARMENON.
Vous, épouser Thaïs ! Une femme
inconnue,
|
Sans amis,
sans parents, de tous biens dépourvue,
Veuve ; et
contre le gré de ceux de qui la voix
Dans cette
occasion doit régler votre choix !
Ce discours,
sans mentir, me surprend et m'étonne.
Je n'ai pas entrepris de blâmer sa
personne :
|
Elle est
sage ; et l'accueil qu'en ont tous ses amants
N'aboutit,
je le crois, qu'à de vains compliments.
Mais...
PHÉDRIE.
Il suffit,
le reste est de peu d'importance.
Thaïs,
quoique étrangère, est de noble naissance.
Qu'importe qu'un époux ait régné
sur son coeur ?
|
Sa beauté,
toujours même, est encore en sa fleur.
Quant aux
biens, ce souci n'entre point dans mon âme ;
Et je ne
prétends pas me vendre à quelque femme
Qui, m'ayant
acheté pour me donner la loi,
Se croirait en pouvoir de disposer
de moi.
|
En l'état où
les dieux ont mis notre famille,
Je dois
estimer l'or bien moins qu'un oeil qui brille.
Aussi le
seul devoir a contraint mon désir,
Sans que je
laisse aux miens le pouvoir de choisir.
Sans doute à l'épouser j'eusse
engagé mon âme :
|
Ne cachons
point ici la moitié de sa flamme ;
C'est à tort
que des miens j'allègue le pouvoir,
Et je cède
au dépit bien plus qu'à mon devoir.
PARMENON.
Vous cédez à
l'amour plus qu'à votre colère ;
Ce courroux implacable en soupirs
dégénère ;
|
Vous faisiez
tantôt peur, et vous faites pitié.
Votre coeur,
sans mentir, est de bonne amitié ;
Ce qu'il a
su chérir, rarement il l'abhorre :
Ces fers à leur captif n'ont rien
qu'à se montrer :
|
Qui n'en
sort qu'à regret est tout près d'y rentrer.
PHÉDRIE.
Tais-toi,
j'entends du bruit, quelqu'un sort de chez elle.
PARMENON.
Que vous
faites bon guet !
PHÉDRIE.
Si c'était
ma cruelle ?
PARMENON.
Déjà vôtre,
bons dieux !
PHÉDRIE.
Ah !
PARMENON.
Retenez vos
pleurs.
PHÉDRIE.
Je sais qu'elle est perfide ; et
je l'aime, et je meurs,
|
Et je me
sens mourir, et n'y vois nul remède,
Et
craindrais d'en trouver, tant l'amour me possède.
PARMENON.
L'aveu me
semble franc, libre, net, ingénu.
PHÉDRIE.
Tu vois en
peu de mots mes sentiments à nu.
PARMENON.
Si je les voyais seul, encor
seriez-vous sage ;
|
Mais cette
femme en voit autant ou davantage,
Et connaît
votre mal ; non pas pour vous guérir.
PHÉDRIE.
Je ne vois
rien d'aisé comme d'en discourir ;
Mais, si tu
ressentais une semblable peine,
Peut-être verrais-tu ta prudence
être vaine.
|
PARMENON.
Au moins,
s'il faut souffrir, endurez doucement ;
L'amour est
de soi-même assez plein de tourment,
Sans que
l'impatience augmente encor le vôtre.
Au chagrin
de ce mal n'en ajoutez point d'autre :
Aimez toujours Thaïs, et vous
aimez aussi.
|
PHÉDRIE.
Le conseil
en est bon, mais...
PARMENON.
Quoi mais ?
PHÉDRIE.
La voici.
PARMENON.
Sa présence
met donc vos projets en fumée ?
PHÉDRIE.
Pour ne te
point mentir, mon âme en est charmée.
THAÏS.
Ah, Phédrie
! Hé bons dieux ! Quoi, vous voir en ce lieu
Vraiment vous avez tort : que
n'entrez-vous ?
|
PHÉDRIE.
Adieu.
|
THAÏS.
Adieu ! Le
mot est bon, et vaut que l'on en rie.
PHÉDRIE.
Quoi ?
Thaïs, à l'affront joindre la raillerie !
C'est trop.
THAÏS.
De quel
affront entendez-vous parler ?
PHÉDRIE.
Voyez, qu'il
lui sied bien de le dissimuler !
THAÏS.
Pour le moins dites-moi d'où vient
votre colère ?
|
PHÉDRIE.
Me
gardiez-vous, ingrate, un refus pour salaire ?
Après tant
de bienfaits, après tant de travaux,
M'exclure,
et recevoir je ne sais quels rivaux !
THAÏS.
Je ne pus
autrement, et j'étais empêchée.
PHÉDRIE.
Encor si, comme moi, vous en étiez
touchée,
|
Ou bien si,
comme vous, je pouvais m'en moquer !
THAÏS.
Vous êtes
délicat, et facile à piquer.
Écoutez mes
raisons d'un esprit plus tranquille :
Pour quelque
autre dessein l'excuse était utile,
Et vous l'approuverez vous-même
assurément.
|
PARMENON.
Elle aura
par amour renvoyé notre amant,
Et par haine
sans doute admis l'autre en sa place.
THAÏS.
Parmenon
pourrait-il me faire assez de grâce
Pour
n'interrompre point un discours commencé ?
PARMENON.
Oui, mais rien que de vrai ne vous
sera passé.
|
THAÏS.
Pour vous
mieux débrouiller le noeud de cette affaire,
Je prendrai
de plus haut le récit qu'il faut faire.
Quoiqu'on
ignore ici le nom de mes parents,
Ils ont en
divers lieux tenu les premiers rangs :
PARMENON.
Tout cela
peut passer, je n'en dis rien pour l'heure :
Il faut voir
à quel point vous voulez arriver.
THAÏS.
Là, tandis
que leurs soins étaient de m'élever,
On leur fit
un présent d'une fille inconnue
Qui dans Rhodes était pour esclave
tenue.
|
Bien qu'elle
fût fort jeune, et n'eût lors que quinze ans,
Elle nous
dit son nom, celui de ses parents,
Que ses
parents avaient encore un fils unique,
Qu'il se nommait Chromer, que
c'était leur espoir.
|
C'est tout
ce que l'on put à cet âge en savoir.
Chacun
jugeait assez qu'elle était de naissance ;
Son
entretien naïf et rempli d'innocence,
Mille
charmes divers, sa beauté, sa douceur,
Me la firent chérir à l'égal d'une
soeur.
|
Dès qu'elle
fut chez nous, on eut soin de l'instruire.
Pour moi,
comme j'étais d'un âge à me conduire,
À peine on
eut appris qu'on me voulait pourvoir,
Qu'un jeune
homme d'Attique, étant venu nous voir,
Me recherche, m'obtient, m'amène
en cette ville,
|
Où, lorsque
je croyais notre hymen plus tranquille,
Il mourut ;
et, laissant tout mon bien engagé,
De mille
soins fâcheux mon coeur se voit chargé.
Ils
accrurent le deuil de ce court hyménée ;
Et, comme on voit aux maux une
suite enchaînée,
|
Le sort,
pour m'accabler de cent coups différents,
Causa
presque aussitôt la mort de mes parents :
Un mal
contagieux les eut privés de vie,
Avant que de
ce mal je pusse être avertie.
Leur bien, jusques alors assez mal
ménagé,
|
D'un oncle
que j'avais ne fut point négligé ;
Avec nos
créanciers il en fait le partage,
Et sut de
mon absence avoir cet avantage.
Je l'appris
sans dessein de l'aller contester :
L'ordre que dans ces lieux je
devais apporter
|
(Bien moins
que le regret d'une mort si funeste)
Fit qu'en
perdant les miens, j'abandonnai le reste.
J'en
observai le deuil qu'exigeait mon devoir :
Tout un an
se passa sans qu'aucun pût me voir.
Enfin, notre soldat vint m'offrir
son service ;
|
Loin de me
consoler, ce m'était un supplice.
Vous savez
qu'on ne peut le souffrir sans ennui ;
Je l'ai
pourtant souffert, espérant quelque appui.
PARMENON.
Vous tirez
de mon maître encor plus d'assistance.
THAÏS.
Je l'avoue, et voudrais qu'une
autre récompense
|
Égalât les
bienfaits dont il me sait combler.
PARMENON.
Hélas ! Le
pauvre amant commence à se troubler.
PHÉDRIE.
Te tairas-tu
? Thaïs, achevez, je vous prie.
THAÏS.
Et vous savez qu'à peine il était
délogé,
|
Qu'on vous
vit à m'aimer aussitôt engagé.
Vous me
vîntes offrir et crédit et fortune :
J'en estimai
dès lors la faveur peu commune ;
Et vous
n'ignorez pas combien, depuis ce jour,
J'ai témoigné de zèle à gagner
votre amour.
|
PHÉDRIE.
Je crois que
Parmenon n'a garde de se taire.
PARMENON.
En
pourriez-vous douter ? Mais où tend ce mystère ?
PHÉDRIE.
Tu le sauras
trop tôt pour mon contentement.
THAÏS.
Écoutez-moi,
de grâce, encore un seul moment.
Thrason notre soldat, battu par la
tempête,
|
Au port des
Rhodiens jette l'ancre et s'arrête,
Va voir
notre famille, y trouve encor le deuil,
Mes parents
depuis peu renfermés au cercueil,
Mon oncle
ayant mes biens, cette fille adoptive
Prête d'être vendue, et traitée en
captive.
|
Il l'achète
aussitôt pour me la redonner,
Puis fait
voile en Carie, et, sans y séjourner,
Revient en
ce pays, où quelque parasite
Lui dit
qu'en son absence on me rendait visite ;
Que, s'il avait dessein de me
donner ma soeur,
|
À présent
méritait quelque insigne faveur.
PHÉDRIE.
Ne
vaudra-t-il pas mieux qu'on lui laisse Pamphile ?
THAÏS.
Je me résous
à suivre un conseil plus utile.
Vous savez
qu'en ce lieu je n'ai point de parents,
Qu'il me peut chaque jour naître
cent différends ;
|
Et, bien que
vous preniez contre tous ma défense,
Souvent un
contre tous peut manquer de puissance.
Souffrez
donc que je cherche un appui loin des miens :
Je n'en
saurais trouver qu'en la rendant aux siens.
Je ne puis l'obtenir sans quelque
complaisance :
|
Il faut donc
vous priver deux jours de ma présence ;
La peine en
est légère, et, ce temps achevé,
Le reste
vous sera tout entier conservé.
Gagne cela
sur toi, de grâce, je t'en prie.
Tu ne me réponds rien, dis-moi,
mon cher Phédrie ?
|
PHÉDRIE.
Que
pourrais-je répondre, ingrate, à ces propos ?
Voyez, voyez
Thrason : je vous laisse en repos ;
Faites-lui
la faveur qu'un autre a méritée ;
C'est où
tend cette histoire assez bien inventée :
« Une fille inconnue est prise en
certains lieux ;
|
On nous en
fait présent, elle charme nos yeux ;
Thrason
vient à m'aimer, vous me rendez visite,
Il me
quitte, il apprend nos feux d'un parasite ;
Les miens
perdent le jour, mon oncle prend mes biens,
Vend la fille à Thrason, je la
veux rendre aux siens » ;
|
Et cent
autres raisons l'une à l'autre enchaînées ;
Puis, enfin,
« de me voir privez-vous deux journées ».
C'était donc
là le but où devait aboutir
Sans perdre tant de temps, sans
prendre tant de peine,
|
Que ne me
disiez-vous : « J'aime le capitaine ;
N'opposez
point vos feux à cet ardent désir.
Vous aurez
plus tôt fait d'endurer qu'à loisir
Je contente
l'ardeur que pour lui j'ai conçue.
Dites, si vous voulez, que la
vôtre est déçue ;
|
Prenez-en
pour témoins les hommes et les dieux :
Pourvu
qu'incessamment il soit devant mes yeux,
Il m'importe
fort peu de passer pour parjure. »
THAÏS.
PHÉDRIE.
Vous m'aimez ! c'est en quoi mon
esprit est confus :
|
L'amour
peut-il souffrir de semblables refus ?
THAÏS.
Je ne vous
réponds point, de peur de vous déplaire ;
Il faut que
ma raison cède à votre colère.
je ne veux
point de temps, non pas même un seul jour,
Je renonce à ma soeur plutôt qu'à
votre amour.
|
PHÉDRIE.
Plutôt qu'à
mon amour ! Ah ! si du fond de l'âme
Ce mot était
sorti...
THAÏS.
Doutez-vous
de ma flamme ?
PHÉDRIE.
J'aurai lieu
d'en douter si, ce terme fini,
Tout autre
amant que moi de chez vous n'est banni.
THAÏS.
Quel terme ?
|
PHÉDRIE.
De deux jours.
|
THAÏS.
Ou trois.
|
PHÉDRIE.
Cet « ou » me tue.
|
THAÏS.
Ôtons-le
donc.
PARMENON.
Enfin sa
constance abattue
Cède aux
charmes d'un mot : je l'avais bien prévu.
PHÉDRIE.
À ce que
vous savez aujourd'hui j'ai pourvu.
J'en viens d'acheter un qui me
semble fidèle,
|
Et tantôt
Parmenon viendra pour vous l'offrir.
Souffrez
votre soldat, puisqu'il faut le souffrir ;
Mais ne le
souffrez point sans beaucoup de contrainte :
Donnez-lui
seulement l'apparence et la feinte.
Pendant vos compliments, songez à
votre foi ;
|
De corps
auprès de lui, de coeur auprès de moi,
Rêvez
incessamment, chez vous soyez absente.
THAÏS.
Vous ne
demandez rien que Thaïs n'y consente ;
Et ce point
ne saurait vous être refusé.
PHÉDRIE.
Adieu.
|
THAÏS.
Comment ! Si tôt ?
|
PARMENON.
Que son esprit rusé,
|
Pour
attraper notre homme, a d'art et de souplesse !
THAÏS.
Vous voyez
mon amour en voyant ma faiblesse ;
Je ne vous
puis quitter que les larmes aux yeux :
Soyez
toujours, Phédrie, en la garde des dieux.
PARMENON.
Est-il dans l'Univers innocence
pareille ?
|
Qui la
condamnerait en lui prêtant l'oreille ?
Que Thaïs a
sujet de se plaindre de moi !
C'est un
chef-d'oeuvre exquis de constance et de foi.
PHÉDRIE.
N'as-tu pas
vu ses yeux laisser tomber des larmes ?
Pour guérir mon soupçon qu'ils
employaient de charmes !
|
PARMENON.
En matière
de femme, on ne croit point aux pleurs :
Un serpent,
je le gage, est caché sous ces fleurs.
PHÉDRIE.
Non, non,
pour ce coup-ci je dois être sans crainte :
Ce qu'en
obtient Thrason marque trop de contrainte ;
Peut-être le voit-elle afin de
l'épouser ;
|
En ce cas,
c'est moi seul que je dois accuser.
Que n'ai-je
découvert le fond de ma pensée ?
Dans un plus
haut dessein je l'eusse intéressée ;
Elle aurait
bientôt su m'assurer de sa foi,
Bannir tous ses amants, ne vivre
que pour moi,
|
Puisque sans
cet espoir tu vois qu'on me préfère.
Les deux
jours expirés, je propose l'affaire ;
Il faut
ouvrir son coeur, et ne point tant gauchir.
PARMENON.
Que diront
vos parents ?
PHÉDRIE.
On pourra les
fléchir :
M'ait, par
un coup fatal, rendu libre comme elle.
Éloignent
les destins ce coup qu'il faudra voir,
Et fassent
que d'ailleurs dépendent mon espoir !
D'une ou
d'autre façon je suivrai cette envie,
Dont tu vois que dépend tout le
cours de ma vie.
|
Censure mon
projet, ravale sa beauté,
Dis ce que
tu voudras, le sort en est jeté.
Montre-lui
cependant l'eunuque sans remise ;
Et de peur
qu'à l'abord Thaïs ne le méprise,
Soigne, avant que l'offrir, qu'il
soit mieux ajusté,
|
Et que par
ton discours son prix soit augmenté.
Dis qu'on
l'a fait venir des confins de l'Asie,
Qu'on l'a
pris d'une race entre toutes choisie,
Qu'il chante
et sait jouer de divers instruments.
Accompagne le don de quelques
compliments :
|
Jure que
pour maîtresse il mérite une reine ;
Que Thaïs
l'est aussi, régnant en souveraine
Sur tous mes
sentiments ; et mille autres propos.
PARMENON.
Tenez le
tout pour fait, et dormez en repos.
PHÉDRIE.
S'il se peut ; mais aux champs
aussi bien qu'à la ville
|
Je sens que
mon esprit est toujours peu tranquille :
Il me faut
toutefois éprouver aujourd'hui
Ce qu'ils
auront d'appas à flatter mon ennui.
PARMENON.
À votre
prompt retour nous en saurons l'issue.
PHÉDRIE.
Peut-être verras-tu ta croyance
déçue.
|
Seulement
prends le soin...
PARMENON.
Allez, je
vous entends.
PARMENON,
seul.
Ah ! combien
l'amour change un homme en peu de temps
Devant que
le hasard eut offert à sa vue
Les fatales
beautés dont Thaïs est pourvue,
Cet amant n'avait rien qui ne fût
accompli ;
|
De louables
désirs son coeur était rempli ;
Il ne
prenait de soins que pour la République ;
Et même le
ménage, où trop tard on s'applique,
De ses plus
jeunes ans n'était point négligé.
Aujourd'hui qu'une femme à ses
lois l'a rangé,
|
Ce n'est
qu'oisiveté, que crainte, que faiblesse :
Le nombre
des amis, la grandeur, la noblesse,
Et tant
d'autres degrés pour un jour parvenir
Au rang que
ses dieux ont jadis su tenir,
Sont des noms odieux, dont cette
âme abattue
|
A toujours
craint de voir sa flamme combattue ;
Et quelque
bon dessein qu'enfin il ait formé,
Il ne
saurait quitter ce logis trop aimé.
Ne s'en
revient-il pas me changer de langage ?
PARMENON.
Sans mentir, c'est à vous
d'entreprendre un voyage.
|
Quoi déjà de
retour ! Vous savez vous hâter.
PHÉDRIE.
Pour te dire
le vrai, j'ai peine à la quitter.
PARMENON.
Du lieu d'où
vous venez dites-nous quelque chose :
Les champs
auraient-ils fait une métamorphose ?
Et depuis le long temps que vous
êtes parti,
|
Ce violent
désir s'est-il point amorti ?
PHÉDRIE.
Pourquoi
s'embarrasser d'un voyage inutile ?
Si Thrason
dès l'abord fait présent de Pamphile,
Thaïs ayant
sa soeur peut lui manquer de foi.
PARMENON.
Mais s'il retient aussi Pamphile
auprès de soi,
|
Connaissant
de Thaïs les faveurs incertaines ?
PHÉDRIE.
Ne puis-je
pas toujours attendre dans Athènes ?
PARMENON.
Deux jours
sans vous montrer ?
PHÉDRIE.
Quatre, s'il
est besoin.
PARMENON.
Du bonheur
d'un rival vous seriez le témoin ?
PHÉDRIE.
Et vois bien
qu'il vaut mieux m'éloigner de leur vue.
Adieu.
PARMENON.
Combien de
fois voulez-vous revenir ?
PHÉDRIE,
revenant :.
J'omettais,
en effet, qu'il te faut souvenir
De m'envoyer
quelqu'un, si Thaïs me rappelle ;
Mais que le messager soit discret
et fidèle,
|
Et surtout
diligent, c'est le principal point :
Pour toi,
prends garde à tout, et ne t'épargne point.
PARMENON.
Je n'ai que
trop d'emploi, n'ayez peur que je chomme.
PHÉDRIE,
revenant.
À propos,
prends le soin de bien styler notre homme.
PARMENON.
Quel homme ?
|
PHÉDRIE.
Notre eunuque.
|
PARMENON.
À servir d'espion ?
|
PHÉDRIE.
Il le faut
employer dans cette occasion.
PARMENON,
voyant Phédrie s'en aller.
Que de
desseins en l'air son ardeur se propose !
PHÉDRIE,
retournant, et donnant une bourse à Parmenon.
Je savais
bien qu'encor j'oubliais quelque chose :
Aux valets
de Thaïs, tiens, fais quelque présent ;
C'est de tous les secrets le
meilleur à présent.
|
PARMENON.
Est-ce là le
dépit conçu pour cette injure ?
N'avez-vous
fait serment que pour être parjure ?
PHÉDRIE.
Voudrais-tu
que jamais on ne pût m'apaiser ?
PARMENON.
Votre bon
naturel ne se peut trop priser :
Qui pardonne aisément mérite qu'on
le loue.
|
PHÉDRIE.
Vraiment je
suis d'avis qu'un esclave me joue,
Qu'il
tranche du railleur, qu'il fasse l'entendu.
PARMENON.
Quoi ! Vous
voulez qu'encor tout ceci soit perdu ?
PHÉDRIE.
PARMENON.
Vous serez obéi, Monsieur, sur ma
parole.
|
PHÉDRIE.
Je l'entends
d'autre sorte, et veux qu'on donne à tous.
PARMENON.
Nous pouvons
leur donner, et retenir pour nous.
PHÉDRIE.
Adieu ; que
du soldat sur tous il te souvienne.
PARMENON.
Fuyons vite
d'ici, de peur qu'il ne revienne.
GNATON.
Que le pouvoir est grand du bel
art de flatter !
|
Qu'on voit
d'honnêtes gens par cet art subsister !
Qu'il
s'offre peu d'emplois que le sien ne surpasse,
Et qu'entre
l'homme et l'homme il sait mettre d'espace !
Un de mes
compagnons, qu'autrefois on a vu
Des dons de la fortune abondamment
pourvu,
|
Qui, tenant
table ouverte, et toujours des plus braves
Voulait être
servi par un monde d'esclaves,
Devenu
maintenant moins superbe et moins fier,
Naguère en m'arrêtant il m'a
traité de maître ;
|
Le long
temps et l'habit me l'ont fait méconnaître,
Autant qu'il
était propre, aujourd'hui négligé :
Je l'ai
trouvé d'abord tout triste et tout changé.
« Est-ce
vous ? » ai-je dit. Aussitôt il me conte
Les malheurs qui causaient son
chagrin et sa honte ;
|
Qu'ayant été
d'humeur à ne se plaindre rien ,
Ses dents
avaient duré plus longtemps que son bien,
Et qu'un
jeûne forcé le rendait ainsi blême.
« Pauvre
homme ! n'as-tu point de ressource en toi-même ?
Manque-t-il au besoin d'adresse et
de vertu ?
|
Compare à ce
teint frais ta peau noire et flétrie ;
J'ai tout,
et je n'ai rien que par mon industrie.
À moins que
d'en avoir pour gagner un repas,
Les morceaux
tout rôtis ne te chercheront pas.
Enfin veux-tu dîner n'ayant plus
de marmite ?
|
Ai-je
répondu lors ; et ton coeur abattu
Imite mon
exemple, et fais-toi parasite ;
Tu ne
saurais choisir un plus noble métier.
- Gardez-en,
m'a-t-il dit, le profit tout entier :
On ne m'a jamais vu ni flatteur,
ni parjure :
|
Je ne
saurais souffrir ni de coup, ni d'injure ;
Et, lorsque
j'ai d'un bras senti la pesanteur,
Je ne suis
point ingrat envers mon bienfaiteur.
D'ailleurs
faire l'agent, et d'amour s'entremettre,
Couler dans une main le présent et
la lettre,
|
Préparer les
logis, faire le compliment ;
Quand
Monsieur est entré, sortir adroitement,
Avoir soin
que toujours la porte soit fermée,
Et manger,
comme on dit, son pain à la fumée ;
C'est ce que je ne puis, ni ne
veux pratiquer.
|
Adieu. » Moi
de sourire, et lui de s'en piquer.
« Il s'en
trouve, ai-je dit, qu'à bien moins on oblige
Et c'est là
le vieux jeu qu'à présent je corrige.
On voit
parmi le monde un tas de sottes gens
Qui briguent des flatteurs les
discours obligeants :
|
Ceux-là me
duisent fort ; je fuis ceux qui sont chiches,
Je les
repais de vent, que je mets à haut prix ;
Prends garde
à ce qui peut allécher leurs esprits ;
Sais toujours applaudir, jamais ne
contredire ;
|
Être de tous
avis, en rien ne les dédire ;
Du blanc
donner au noir la couleur et le nom ;
Dire sur
même point tantôt oui, tantôt non.
Ce sont ici
leçons de la plus fine étoffe ;
Je commente cet art, et j'y suis
philosophe :
|
Le livre que
j'en fais aura, sans contredit,
Plus que
ceux de Platon, de vogue et de crédit. »
Nous nous
sommes quittés, remettant la dispute ;
J'ai quelque
ordre important qu'il faut que j'exécute :
De la part d'un soldat, que je
sers à présent,
|
Je vais
trouver Thaïs, et lui faire un présent ;
Il est tel
que mon âme en est presque tentée :
C'est une
jeune esclave à Rhodes achetée :
L'âge en est
de seize ans, l'embonpoint d'un peu plus,
La taille en marque vingt ; et
pour moi je conclus
|
Qu'elle
soit, et pour cause, en vertu d'hyménée,
Aux désirs
d'un époux bientôt abandonnée,
Ou je crains
fort d'en voir quelque autre possesseur.
Ce grand
abord de gens au logis de sa soeur,
Le scrupule des noms d'ingrate et
de cruelle,
|
De ces
coeurs innocents la pitié criminelle,
Cent autres
ennemis d'un honneur mal gardé,
Marquent le
sien perdu, du moins fort hasardé.
Mais entre
eux le débat. N'étant point ma parente,
La suite m'en doit être au moins
indifférente ;
|
L'exposant
au danger sans crainte et sans souci,
Je m'en vais
la quérir dans un lieu près d'ici ;
Et plût à
quelque dieu qu'en passant par la rue,
Du rival de
mon maître elle fût aperçue !
Voici son Parmenon qui s'avance à
propos ;
|
Pour peu
qu'il tarde ici, nous en dirons deux mots.
PARMENON.
Notre amant,
ayant dit mille fois en une heure :
« Quoi !
s'éloigner des lieux où mon âme demeure !
N'irai-je
pas ? Irai-je ? » Enfin s'est hasardé.
Et mille fois encor m'a tout
recommandé :
|
Que je
prenne bien garde au nombre des visites
Qu'on peut
rendre en personne ou bien par parasites ;
Qu'aux
environs d'ici nul ne fasse un seul tour
Dont mon
livre chargé ne l'instruise au retour ;
Et que, si je surprends le soldat
auprès d'elle,
|
Je tienne
des clins d'oeil un registre fidèle ;
Écrive leurs
propos de l'un à l'autre bout,
Ne laisse
rien passer, et sois présent à tout :
Car le sage
ne doit qu'à soi-même s'attendre.
C'eût été pour quelque autre un
plaisir de l'entendre ;
|
Moi, qui
sans cesse marche, et qui trotte, et qui cours,
Je ne ris
qu'à demi de semblables discours,
Et je
souhaiterais, du fond de ma pensée,
Que le dieu
Cupidon eût la tête cassée :
Cela ferait grand bien aux pieds
de cent valets.
|
J'approche
de Thaïs, et voici son palais.
Quoi !
j'aperçois aussi notre flatteur à gage !
PARMENON.
Avance,
homme de bien !
GNATON.
Contemple ce
visage.
PARMENON.
Le coquin
parle en prince, et n'est qu'un gueux parfait.
GNATON.
Tu te penses moquer, je suis
prince en effet.
|
PARMENON.
Des fous,
cela s'entend.
GNATON.
Quoi ! des
fous ? Il n'est sage
Qui sous moi
ne dût faire un an d'apprentissage.
PARMENON.
En quel art
?
GNATON.
De goinfrer.
PARMENON.
Je le trouve
très beau.
Si tu peux y
savoir quelque secret nouveau,
Il n'est point d'industrie à
l'égal de la tienne.
|
GNATON.
Va, tu
mérites bien que je t'en entretienne ;
Seulement
traitons-nous un mois à tes dépens.
PARMENON.
Volontiers :
mais dis-moi, sans me mettre en suspens,
Quelle est
cette beauté qu'en triomphe tu mènes.
GNATON.
Celle qui va bientôt t'épargner
mille peines.
|
Je te trouve
honnête homme, et suis fort ton valet.
D'un mois,
par mon moyen, ni lettre, ni poulet,
Ni billet à
donner, ni réponse à prétendre.
PARMENON.
Je commence,
Gnaton, d'avoir peine à t'entendre.
GNATON.
PARMENON.
Tu me gênes
l'esprit par ces mots ambigus ;
Veux-tu bien
m'obliger ?
GNATON.
Comment ?
PARMENON.
De grâce,
achève.
GNATON.
Avec toi
pour un mois les courses ont fait trêve.
PARMENON.
Je le crois
; mais encor, dis-m'en quelque raison.
GNATON.
Thaïs, par ce présent, sera toute
à Thrason.
|
PARMENON.
Je veux
qu'il soit ainsi : quelle en sera la suite ?
GNATON.
Pour un
homme subtil, et si plein de conduite,
Tu devrais
pénétrer et voir un peu plus loin :
Je veux,
encore un coup, te délivrer de soin.
Thrason voyant Thaïs, ceux dont
elle est aimée
|
Peuvent tous
s'assurer que sa porte est fermée :
Ton maître
comme un autre ; et tu n'entendras plus
Ni souhaits
impuissants, ni regrets superflus,
Ni :« Quel
est ton avis ? » ni : « Fais-lui tel message. »
PARMENON.
Ah ! Combien voit de loin l'homme
prudent et sage !
|
J'avais
peine à comprendre où tendait ce propos ;
Mais, grâce
aux Immortels, j'aurai quelque repos.
GNATON.
Dis : grâces
à Gnaton.
PARMENON.
Et rien pour
cette belle ?
GNATON.
À propos,
que t'en semble ?
PARMENON,
voulant toucher Pamphile :.
Ô dieux !
qu'elle est rebelle
Du bout du doigt à peine on ose
lui toucher.
|
GNATON.
Nul mortel
que Thrason n'a droit d'en approcher.
PARMENON.
Pour un si
rare objet on peut tout entreprendre.
PAMPHILE.
Dieux !
Quelle patience il faut pour les entendre !
Gnaton,
conduis-moi vite, et ne te raille point.
PARMENON.
De grâce, écoute-moi, je n'ai plus
qu'un seul point.
|
GNATON.
Dis ce que
tu voudras.
PARMENON.
Quel est son
nom ?
GNATON.
Pamphile.
PARMENON.
Point
d'autre ?
GNATON.
Que
t'importe ?
PARMENON.
Est-elle en
cette ville
Depuis un
fort long temps ?
GNATON.
Ton caquet
m'étourdit.
PARMENON.
Saurai-je
son pays, son âge ?
GNATON.
Est-ce tout
dit ?
PARMENON.
Tu te fais trop prier, n'étant pas
si beau qu'elle.
|
GNATON.
Te
confondent les dieux, et toute ta séquelle !
Je te sauve
un gibet, te souhaitant ceci.
PARMENON.
Ton bon
vouloir mérite un ample grand-merci :
Un jour nous
t'en rendrons quelque digne salaire.
GNATON.
Tu le peux sans tarder. Mais
n'as-tu point affaire ?
|
PARMENON.
Pour toi,
quand j'en aurais, je voudrais tout quitter.
GNATON.
De ce pas à
Thaïs viens donc me présenter ;
Sers-moi
d'introducteur.
PARMENON.
Tu ris, mais
il n'importe.
Entre seul,
tu le peux.
GNATON.
Tiens-toi
donc à la porte,
Et garde qu'on ne laisse entrer
dans la maison
|
Quelque
autre messager que celui de Thrason ;
Je t'en
donne l'avis, comme ami de ton maître :
Et peut-être
qu'un jour il saura reconnaître
De quelque
bon repas ce conseil important.
PARMENON.
Encor deux jours de vie, et je
mourrai content.
|
GNATON.
Il te faut
bien un mois à la bonne mesure.
PARMENON.
Dans deux
jours au plus tard.
GNATON.
Nous le
verrons. Adieu.
PARMENON.
Mon galant
est parti : qu'ai-je affaire en ce lieu ?
J'avais dessein de voir cette
soeur prétendue ;
|
Et je me
trompe fort, ou c'est peine perdue
De s'en
aller offrir, après un tel présent,
Notre
vieillard flétri, chagrin et mal plaisant ;
Mais il faut
obéir.
PARMENON.
Où
courez-vous, Cherée ?
CHERÉE.
C'en est fait, Parmenon, ma perte
est assurée.
|
PARMENON.
Comment ?
CHERÉE.
L'as-tu
point vue en passant par ces lieux ?
PARMENON.
Qui ?
CHERÉE.
Certaine
beauté, qui, s'offrant à mes yeux,
N'a rien
fait que paraître, et s'est évanouie.
PARMENON.
Vous en avez
la vue encor toute éblouie.
CHERÉE.
Ô dieux ! Mais où chercher ? Que
le maudit procès
|
Puisse avoir
quelque jour un sinistre succès !
PARMENON.
Comment ?
Quoi ? Quel procès ?
CHERÉE.
Ah ! Si tu
l'avais vue !
PARMENON.
Et qui ?
CHERÉE,.
Cette beauté
de mille attraits pourvue.
PARMENON.
Hé bien ?
CHERÉE.
Tu
l'aimerais, et cet objet charmant
Ne peut souffrir qu'un coeur lui
résiste un moment.
|
Ne me parle
jamais de tes beautés communes ;
Leurs
caresses me sont à présent importunes,
Rien que de
celle-ci mon coeur ne s'entretient.
PARMENON.
Vraiment !
C'est à ce coup que le bon homme en tient.
L'un de ses fils aimait ; l'autre,
plein de furie,
|
Passera les
transports de son frère Phédrie.
De l'humeur
dont je sais que le cadet est né,
Ce ne sera
que jeu, dans deux jours, de l'aîné.
CHERÉE.
Aussi ne
saurait-il avoir l'âme charmée
Des traits d'une beauté plus digne
d'être aimée.
|
PARMENON.
Peut-être.
CHERÉE.
En doutes-tu
?
PARMENON.
C'est un
trop long discours.
Vous aimez ?
CHERÉE.
À tel point
que si d'un prompt secours...
PARMENON.
Tout beau,
demeurons là, ne marchons pas si vite :
Où
prétendez-vous donc ce soir aller au gîte ?
CHERÉE.
Hélas ! S'il se pouvait, chez
l'aimable beauté.
|
PARMENON.
Certes, pour
un malade il n'est point dégoûté.
CHERÉE.
Tu ris et je
me meurs.
PARMENON.
Mais encor,
quel remède
Faudrait-il
apporter au mal qui vous possède ?
CHERÉE.
De ce mot de
remède en vain tu m'entretiens,
Si par tes prompts efforts bientôt
je ne l'obtiens.
|
Tu m'as dit
tant de fois : « Essayez mon adresse ;
Votre âge le
permet, aimez, faites maîtresse. »
J'aime, j'en
ai fait une : achève, et montre-moi
Que mon
coeur se pouvait engager sur ta foi.
PARMENON.
Je l'ai dit en riant, et sans
croire votre âme,
|
Pour un
discours en l'air, susceptible de flamme.
CHERÉE.
Qu'il ait
été promis ou de bon ou par jeu ;
Si tes
soins, Parmenon, ne me livrent dans peu
Cette même
beauté qui captive mon âme,
Je ne vois que la mort pour
terminer ma flamme.
|
PARMENON.
Dépeignez-la-moi
donc.
CHERÉE.
Elle est
jeune, en bon point.
PARMENON.
Celui qui la
menait ?
CHERÉE.
Je ne le
connais point.
PARMENON.
Le nom
d'elle ?
CHERÉE.
Aussi peu.
PARMENON.
Son logis ?
CHERÉE.
Tout de même
?
PARMENON.
Vous ne
savez donc rien !
CHERÉE.
Rien, sinon
que je l'aime.
PARMENON.
Me voilà bien instruit. Quel
chemin ont-ils pris ?
|
CHERÉE.
Tandis
qu'elle arrêtait mes sens et mes esprits,
Notre hôte
Archidemide, avec son front sévère,
Est venu
m'aborder, et m'a dit que mon père
Ne faillît
pas demain d'être son défenseur
Contre l'injuste effort d'un
puissant agresseur ;
|
Et, comme
les vieillards sont longs en toute chose,
D'un récit
ennuyeux il m'a déduit sa cause,
Tant
qu'après notre adieu je n'ai plus aperçu
L'objet de
ce désir qu'en passant j'ai conçu.
PARMENON.
C'est être malheureux.
|
CHERÉE.
Autant qu'homme du monde.
|
PARMENON.
Vous l'avez
bien maudit
CHERÉE.
Que le Ciel
le confonde !
Depuis plus
de deux ans nous ne nous étions vus.
PARMENON.
Il se
rencontre ainsi des malheurs imprévus.
Celui qui la
menait - est quelque homme de mine ?
CHERÉE.
Rien moins. Tu le croirais un
pilier de cuisine ;
|
Et lui seul,
sans mentir, est aussi gras que deux.
PARMENON.
Son habit ?
CHERÉE.
Fort usé.
PARMENON.
CHERÉE.
Je n'ai vu
qu'eux.
PARMENON.
C'est elle
assurément.
CHERÉE.
Qui ?
PARMENON.
Rassurez
votre âme ;
Je connais
maintenant l'objet de votre flamme...
CHERÉE.
L'as-tu vue ?
|
PARMENON.
Elle-même.
|
CHERÉE.
Et tu sais son logis ?
|
PARMENON.
Je le sais.
CHERÉE.
Parmenon,
dis-le-moi.
PARMENON.
Chez Thaïs.
Comme ils
venaient d'entrer, je vous ai vu paraître ;
C'est un don
que lui fait le rival de mon maître.
CHERÉE.
Il doit être
puissant.
PARMENON.
Plus en
bruit qu'en effet
CHERÉE.
Qu'il m'en fasse un pareil, j'en
serais satisfait.
|
PARMENON.
On vous
croit sans jurer.
PARMENON.
Mais qu'en
pense Phédrie ?
Je n'y vois
point pour lui sujet de raillerie.
Qui saurait
son présent le plaindrait beaucoup plus.
CHERÉE.
Quel présent
?
PARMENON.
Un vieillard
impuissant et perclus,
Sans esprit, sans vigueur, sans
barbe, sans perruque,
|
Un spectre,
un songe, un rien, pour tout dire un eunuque,
Dont encore
il prétend, contre toute raison,
Pouvoir
contrecarrer le présent de Thrason.
Si l'on nous
laisse entrer, je veux perdre la vie.
CHERÉE.
S'il est aussi reçu, qu'il me
donne d'envie !
|
PARMENON.
Ce serait
pour Pamphile un mauvais entretien.
CHERÉE.
Quoi !
garder une fille et si jeune et si belle,
Coucher en
même chambre, et manger auprès d'elle,
La voir à tout moment sans crainte
et sans soupçon,
|
Tu ne
voudrais pas être heureux de la façon ?
PARMENON.
Vous pouvez
aisément avoir cette fortune :
La ruse est
assurée autant qu'elle est commune.
D'un voyage
lointain depuis peu revenu,
Sans doute chez Thaïs vous êtes
inconnu :
|
Il faut prendre
l'habit que notre eunuque porte :
Vous
passerez pour lui, déguisé de la sorte.
Votre menton
sans poil y doit beaucoup aider.
CHERÉE.
Et l'on me
donnera cette belle à garder ?
PARMENON.
Et sans doute à garder vous aurez
cette belle.
|
Mais après ?
CHERÉE.
Innocent !
Je puis lors auprès d'elle
Boire,
manger, dormir, lui parler en secret.
PARMENON.
Usez-en tout
au moins comme un homme discret.
CHERÉE.
Tu ris ?
PARMENON.
Des vains
projets où l'amour vous emporte.
Vous vous croyez dedans avant
qu'être à la porte :
|
Et, sans
savoir encor quelle est cette beauté,
D'un espoir
amoureux votre coeur est flatté :
Il faut
auparavant s'acquérir une entrée.
CHERÉE.
L'échange
proposé me la rend assurée.
PARMENON.
Oui, s'il se pouvait faire.
|
CHERÉE.
À d'autres, Parmenon !
|
PARMENON.
Quoi ! vous
avez donc cru que c'était tout de bon ?
CHERÉE.
Tout de bon
ou par jeu, derechef il n'importe ;
Et, si je ne
l'obtiens, ou d'une ou d'autre sorte,
Je suis
mort.
PARMENON.
Mais avant
que de vous engager,
Pesez, encore un coup, la grandeur
du danger.
|
CHERÉE,.
Trop de
raisonnement peut nuire en telle affaire :
L'occasion
se perd tandis qu'on délibère
Un autre la
prendra, j'en aurai du regret.
PARMENON.
Mais au
moins pourrez-vous me garder le secret ?
CHERÉE.
Ne crains rien.
|
PARMENON.
Priez donc Amour qu'il favorise
|
De quelque
bon succès cette haute entreprise.
CHERÉE.
Amour ! si
sa beauté peut s'offrir à mes sens,
Tu ne
manqueras plus ni d'autels, ni d'encens
THRASON.
Il faut dire
le vrai, j'en voulais à Pamphile ;
Et, bien que pour Thaïs une amour
plus facile
|
Étouffât
celle-ci presque encore au berceau,
Sans mentir
j'ai regret de perdre un tel morceau.
Je ne sais
quel remords tient mon âme occupée ;
Mais encore
être ainsi de mes mains échappée,
C'est le comble du mal, et
souffrir qu'un enfant
|
Des lacs
d'un vieux routier se sauve en triomphant.
Me
préservent les dieux d'une beauté naissante !
Il n'est
point de méthode en amour si puissante
Qui ne fût
inutile à qui s'en piquerait ;
Souvent ces jeunes coeurs sont
plus durs qu'on ne croit ;
|
Pour gagner
son amour, je ne sais point de voie :
C'est un
fort à tenir aussi longtemps que Troie.
J'aurais,
sans me vanter, depuis qu'elle est chez moi,
Réduit à la
raison quatre filles de roi.
J'eusse pu l'épouser, mais je fuis
la contrainte ;
|
Le seul nom
de l'hymen me fait frémir de crainte ;
Et je ne
voudrais pas que mon coeur fût touché
De l'espoir
d'un royaume à Pamphile attaché.
Rien n'est
tel, à qui craint une femme importune,
Que de vivre en soldat, et
chercher sa fortune.
|
On se pousse
partout, on risque sans souci,
Et qui n'y
gagne rien n'y peut rien perdre aussi.
Mais
rarement Thrason se plaint-il d'une dame ;
Jusqu'ici
peu d'objets ont régné sur son âme
Sans payer son amour d'une ou
d'autre façon.
|
Phédrie en
pourrait bien avoir quelque leçon ;
Je n'en
pense pas plus, n'étant point d'humeur vaine.
Voyons si
notre agent aura perdu sa peine :
Le voici qui
s'approche.
THRASON.
Hé bien,
qu'as-tu gagné ?
GNATON.
Que de peine, Seigneur, vous
m'avez épargné !
|
Je vous
allais chercher au port et dans la place.
THRASON.
Tu me
rapportes donc des actions de grâce ?
GNATON.
Le faut-il
demander ? J'en suis tout en chaleur.
THRASON.
Enfin le don
lui plaît ?
GNATON.
Non tant
pour la valeur,
Que pour venir de vous ; c'est là
ce qui la touche,
|
Et ce qu'à
tous moments elle a dedans la bouche,
Comme un des
plus grands biens qu'elle ait jamais reçus.
Vous ririez
de loisir triompher là-dessus.
THRASON.
Ce qui vient
de ma part cause ainsi de la joie ;
J'ai cent fois plus de gré d'un
bouquet que j'envoie,
|
Qu'un autre
n'en aurait de quelque don de prix,
Fût-ce même
un trésor.
GNATON.
Vivent les
bons esprits !
Il n'est, à
bien parler, que manière à tout faire.
D'un travail
de dix ans ce que le sot espère,
L'honnête homme, d'un mot, le lui
viendra ravir.
|
THRASON.
Aussi le roi
m'emploie, et j'ai su le servir
À la guerre,
en amour, auprès de ses maîtresses,
Quoique
j'eusse souvent ma part de leurs caresses.
GNATON.
Mais s'il
l'apprend aussi ?
THRASON.
Gnaton,
soyez discret.
Je ne découvre pas à tous un tel
secret.
|
GNATON.
C'est fait
en homme sage.
Tout bas, se
tournant.
Il l'a dit à
cent autres.
Haut.
Le roi
n'agréait donc autres soins que les vôtres ?
THRASON.
Que les
miens ; et parfois se trouvant dégoûté
Du tracas
importun qui suit la royauté,
Comme s'il eût voulu... tu
comprends ma pensée ?
|
GNATON.
Prendre un
peu de bon temps, toute affaire laissée.
THRASON.
Cela même.
Aussitôt il m'envoyait quérir :
Seuls, ainsi
nous Passions les jours à discourir
De cent
contes plaisants que je lui savais faire ;
Et s'il se présentait quelque
importante affaire,
|
Après avoir
le tout entre nous disposé,
Son conseil
n'en avait qu'un reste déguisé ;
Et Souvent,
malgré tous, ma Voix était suivie.
GNATON.
Lors chacun
d'enrager, Mourir, Crever d'envie ?
THRASON.
Et Thrason de s'en rire.
|
GNATON.
À l'oreille du roi ?
|
THRASON.
Qui peut te
l'avoir dit ?
GNATON.
C'est
qu'ainsi je le crois.
THRASON.
Sur ce
propos, un jour qu'il remarquait leur peine,
Le chef des
éléphants, appelé Métasthène,
Des plus
considérés près du prince à présent,
Ne se put revancher d'un trait
assez plaisant.
|
Il mâchait
de dépit quelque mot dans sa bouche,
Et me
tournant les yeux : « Qui vous rend si farouche ?
Sont-ce les
bêtes, dis-je, à qui vous commandez ? »
GNATON.
Et le roi,
qu'en dit-il ?
THRASON.
Nous étant
regardés,
Il ne put à la fin s'empêcher de
sourire.
|
Je dis, sans
vanité, peu de mots qu'il n'admire.
GNATON.
Comme vous
en parlez, c'est un prince poli.
THRASON.
Peu d'hommes
ont, de vrai, l'esprit aussi joli :
Surtout il
s'entend bien à placer son estime..
GNATON.
Celle-qu'il fait de vous me semble
légitime
|
THRASON.
T'ai-je dit
un bon mot, qu'en un bal invité...
GNATON.
Non.
Bas, se
tournant.
Plus de
mille fois il me l'a raconté.
THRASON.
Chacun avait
sa nymphe : alors un Ganymède
Approchant de la mienne, aussitôt
je lui dis
|
Que les
restes de Mars seraient pour Adonis.
GNATON.
Le jeune
homme rougit ?
THRASON.
Belle
demande à faire !
il rougit,
et d'abord fut contraint de se taire :
Depuis
chacun m'a craint
GNATON.
Avec juste
raison
N'ont-ils point un recueil des
bons mots de Thrason
|
THRASON.
Je t'en
conterais cent ; mais changeons de matière
Thaïs, comme
tu sais, est femme assez altière,
Jalouse, et
d'un esprit à tout craindre de moi :
Dois-je, en
quittant sa soeur, lui confirmer ma foi ?
GNATON.
Rien moins. Il vaut bien mieux la
tenir en cervelle.
|
Ayez
toujours en main quelque amitié nouvelle
De ce secret
d'amour l'effet n'est pas petit ;
C'est par là
qu'on maintient les coeurs en appétit
Et qu'on
accroît l'amour au lieu de le détruire.
Mais je fais des leçons à qui
devrait m'instruire.
|
THRASON.
Comment un
tel secret a-t-il pu m'échapper ?
GNATON.
Des soins
plus importants pouvaient vous occuper ;
Vous rêviez,
je m'assure, à quelque haut fait d'armes.
THRASON.
Il est vrai
que la guerre a pour moi de tels charmes
Qu'ils me font oublier tous les
autres plaisirs.
|
THRASON.
Mais l'amour
trouve aussi sa part dans vos désirs ?
THRASON.
Entre Mars
et Vénus mon coeur se sent suspendre,
Est
recherché des deux, ne sait auquel entendre.
Laissons là
leur débat. Quel traité m'as-tu fait ?
GNATON.
Tel qu'un plus amoureux en serait
satisfait ;
|
Thaïs se
veut purger de tous sujets de plainte :
Deux jours,
par mon moyen, sans rival et sans crainte
Vous lui
rendrez visite en dépit des jaloux.
THRASON.
Je t'aime.
GNATON.
Et du dîner
sur moi reposez-vous ;
Je l'ai fait, en passant, apprêter
chez votre hôte.
|
THRASON.
De faim
jamais Gnaton ne mourra par sa faute.
GNATON.
Qu'y faire ?
il faut bien vivre ici comme autre part.
GNATON.
Retourne
chez Thaïs, et dis-lui qu'il est tard.
THAÏS.
Il n'en est
pas besoin, je viens sans qu'on m'appelle.
THRASON.
Sais-je faire un présent ?
|
THAÏS.
Certes la chose est belle ;
|
Mais je
n'estime au don que le lieu dont il vient.
GNATON.
Notre dîner
est prêt, S'il ne vous en souvient.
THRASON A
Thaïs :.
Plus rare et
d'autre prix je vous l'aurais donnée.
GNATON.
Toujours en
compliments il se passe une année ;
Le dîner nous attend, hâtons-nous,
c'est assez.
|
THAÏS.
Nous ne
sommes, Gnaton, pas encor si pressés.
Il me faut
du logis donner charge à Pythie.
GNATON.
Tout ira
comme il faut, j'en réponds sur ma vie.
THAÏS.
Sans avoir
pris ce soin, je n'ose m'engager.
GNATON.
Puissent mes ennemis de femmes se
charger !
|
Elles n'ont
jamais fait ; toujours nouvelle excuse.
THAÏS.
De vains
retardements à tort on nous accuse ;
Votre sexe
se laisse encor moins gouverner.
GNATON.
Ne tient-il
point à moi que nous n'allions dîner ?
THAÏS.
Ne plaise aux dieux, Gnaton, qu'on
ait telle pensée.
|
GNATON.
Je ne vous
en vois point pour cela plus pressée.
THAÏS.
Allons, si
tu le veux.
PARMENON.
Un mot
auparavant.
GNATON.
Nous voici,
grâce aux dieux, aussi prêts que devant :
Je dînerai
demain, s'il plaît à la fortune.
Fais vite, Parmenon, ta harangue
importune.
|
PARMENON.
Mon maître,
par votre ordre absent de ce séjour,
Avecque ce
présent vous offre le bonjour.
Je ne veux
point passer la loi qui m'est prescrite,
Ni parler de
ses pleurs quand il faut qu'il vous quitte :
De vous-même à son mal vous pouvez
compatir,
|
Et le croire
affligé sans l'avoir vu partir.
Faisant un
don plus riche, il eût eu plus de joie ;
Mais au
moins de bon coeur croyez qu'il vous l'envoie.
THRASON.
Le présent
peut passer.
THAÏS.
Il me charme
en effet.
Je ne l'aurais pas cru si beau, ni
si bien fait.
|
PARMENON.
On l'appelle
Doris : et quant à son adresse,
En tout ce
que l'on doit apprendre à la jeunesse
On l'a, dès
son jeune âge, instruit et façonné.
À quoi que
de tout temps il se soit adonné,
Soit aux arts libéraux, soit aux
jeux d'exercice,
|
A sauter, à
lutter, à courir dans la lice,
Il a toujours
passé pour un des plus adroits.
Enfin,
permettez-lui de parler quelquefois,
Vous
l'entendrez bientôt en conter des plus belles ;
Il vous entretiendra de cent
choses nouvelles.
|
Mon maître
cependant n'exige rien de vous :
Vous ne le
trouverez importun ni jaloux ;
Il ne vous
contera ni bons mots, ni faits d'armes ;
Et vous
pourrez, Thaïs, disposer de vos charmes
Sans craindre qu'il s'offense et
vous tienne en souci,
|
Comme un de
vos amants qui n'est pas loin d'ici.
Faites
entrer chez vous soldats et parasites :
Pourvu qu'il
puisse rendre à son tour ses visites
(J'entends
quand vous serez d'humeur ou de loisir),
Il se tiendra content par-delà son
désir.
|
THRASON.
Si ton
maître avait dit ce que tu viens de dire...
PARMENON.
Comme j'en
suis l'auteur, vous n'en faites que rire ?
THRASON.
Dois-je
contre un valet employer mon courroux ?
Que t'en
semble, Gnaton ?
GNATON.
Seigneur,
épargnez-vous.
THRASON.
Je te croirai. Thaïs, ce parleur
m'incommode.
|
GNATON.
De vrai, les
compliments ne sont plus à la mode ;
Allons.
THAÏS.
Quand on
voudra.
THRASON.
Qu'un long
discours déplaît !
GNATON.
Surtout, à
mon avis, quand le dîner est prêt.
THAÏS.
Du zèle et
du présent je lui suis obligée.
PARMENON.
Le don ne vous tient pas vers mon
maître engagée ;
|
S'il doit
être payé, c'est du zèle sans plus.
GNATON.
Remettons à
tantôt ces discours superflus ;
Il n'est pas
maintenant saison de repartie.
THAÏS.
Tu me
permettras bien d'ordonner à Pythie
Que le soin de Pamphile à Doris
soit commis.
|
GNATON.
Faites que
Gnaton dîne, et tout vous est permis.
PARMENON.
Pour un
entremetteur, on te fait trop attendre :
Ce n'est
point là le gré que tu pouvais prétendre ;
Et si
j'avais reçu tel présent par Gnaton
Il se verrait à table assis
jusqu'au menton.
|
On ne
devrait ici rendre aucune visite
Sans avoir
un billet signé de Parasite ;
Il lui faut
cependant mettre tout son espoir
À courir
tout le jour pour déjeuner au soir.
Pour moi, je ne crois pas qu'autre
chose il attrape,
|
Si ce n'est
que son roi le fasse un jour satrape,
Ou que, las
de courir et battre le pavé,
Plus haut
que son mérite, il se trouve élevé.
Que dis-tu
de ces mots ? Ai-je su te le rendre
THRASON.
Le coquin veut railler. Gnaton, va
nous attendre ;
|
Je vais
prendre Thaïs.
GNATON.
Laissez-moi
cet emploi :
Un chef doit
autrement tenir son quant-à-moi.
THRASON.
Adieu donc,
Parmenon : tu diras à Phédrie
Que Thaïs,
pour un temps, trouve bon qu'il l'oublie ;
Que pour l'entretenir deux jours
me sont assez.
|
PARMENON.
Ne vous en
vantez point avant qu'ils soient passés.
PARMENON,
demeuré seul.
Ceci pour
notre eunuque assez bien se prépare.
Pendant
qu'ils dîneront, il faut qu'il se déclare,
Prenne
l'occasions et ne perde un moment
À pousser des soupirs et languir
vainement
|
Non que
parlant d'amour il rencontre oeuvre faite :
Alors qu'on
en vient là, toutes ont leur défaite :
Tel souvent
en a peu qui croit en avoir tout,
Et même va
bien loin sans aller jusqu'au bout.
Que Pamphile d'ailleurs volontiers
ne l'écoute,
|
Toute sage
qu'elle est, je n'en fais point de doute :
C'est le
propre du sexe, il veut être flatté,
Et se plaît
aux effets que produit sa beauté.
Puis notre
homme a de quoi charmer la plus sévère :
Il est jeune, il est beau,
toujours prêt à tout faire ;
|
En dit plus
qu'on ne veut, sait bien le débiter,
Est d'humeur
libérale, et donne sans compter.
Si par ces
qualités d'abord il ne la touche,
Le temps,
qui peut gagner l'esprit le plus farouche,
Ne lui permettra pas d'y faire un
long effort,
|
Et ce peu de
loisir m'embarrasse très fort :
je crains
notre vieillard, qu'on attend d'heure en heure.
Il n'a
jamais aux champs fait si longue demeure ;
Quelque
charme puissant l'y retient arrêté ;
S'il revient une fois, le mystère
est gâté.
|
Ô dieux !
C'est fait de nous, le voici qui s'avance ;
Je ne sais
quel frisson m'annonçait sa présence.
Parmenon,
cependant que tout seul il discourt,
Va te
précipiter, ce sera ton plus court ;
Qui pourrait toutefois choisir une
autre voie ?
|
Le vieillard
est plus doux qu'il ne veut qu'on le croie :
L'amour pour
ses enfants, qu'il laisse à l'abandon,
Fait qu'il
me reste encor quelque espoir de pardon ;
Usons à cet
abord d'un peu de complaisance.
A SUIVRE
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