mercredi 1 avril 2015

TROIS CHAMBRES A ZERO A FONTAINE - SAMEDI 28 ET DIMANCHE 29 MARS 2015...



Samedi 28 et Dimanche 29 Mars 2015…

C’était l’avant-dernier weekend de « Trois chambres à zéro » de Jean-Claude MARTINEAU à Fontaine les Vervins…

La Compagnie a été accueillie chaleureusement ce samedi par le très sympathique Président de l’association des employés communaux de Fontaine, Christian VILLA, et de toute son équipe, ils ont œuvrés depuis quelques semaines avec une bonne publicité et la distribution de flyers et affiches dans les villes et villages de Thiérache.

Nous avons pris avec Christian et son équipe, un « casse-croute de luxe », plats de cochonnailles, salades, flans délicieux, « humidifiés », avec rosé pamplemousse et bulles…, avec modération bien sûr. De quoi assurer un spectacle de qualité qui était parfaitement interprété et qui a déclenché rires, fous-rires et applaudissements des spectateurs de Fontaine et des environs. Un bon moment passé avec Christian et son équipe… ! ! !

Ce dimanche nous avons joué une seconde fois avec grand plaisir « Trois chambres à zéro » au profit de l’association « L’ataxie de Friedriech » de Jean-Dieusaert, une maladie orpheline invalidante, afin de permettre à ses membres de voyager en France et à l’étranger.

Christiane Dieusaert en ouverture du spectacle expliqua différents éléments de cette maladie orpheline, le courageux parcours de Jean et sa ténacité sans faille.

Christiane Dieusaert, l’épouse de Jean, infatigable et super motivée avec les membres de l’association avaient préparé une exposition dans la salle, avec de superbes photos de voyages et d’activités accomplies, Jean dédicaçais ses beaux livres, l’équipe avait préparé divers gâteaux, crêpes, friandises, à la disposition des spectateurs ravis de leur après-midi avec Jean et Christiane Dieusaert pour l’Ataxie de Friedriech et du spectacle de la Compagnie du Petit Théâtre d’Origny, une nouvelle référence de « Trois chambres à zéro » tant les comédiens étaient au sommet de leur art, superbement apprécié par les spectateurs, leurs rires et leurs applaudissements, les visages étaient rayonnants… ! ! !

La chorégraphie des comédiens applaudie en continu… !, la plus belle récompense pour la Compagnie.

Au final, Christiane Dieusaert pris le micro et remercia chaleureusement les spectateurs venus soutenir l’association et la Compagnie du Petit Théâtre d’Origny. Les recettes du spectacle, la vente de livres et de gâteaux sont remis à l’association « L’ataxie de Friedriech ».

La compagnie du Petit Théâtre d’Origny a pris un grand plaisir à participer à cette belle journée, notre plus belle récompense était de voir le beau sourire et les yeux pleins d’étoiles de Jean et de Christiane.

Jean-Claude

LE PETIT THEATRE D'ORIGNY - NOUVELLE PIECE - SAISON 2015 / 2016...

 CHERS AMIS COMÉDIENS ET FIDÈLES SPECTATEURS DU PETIT THÉÂTRE D'ORIGNY

LE CHOIX DE LA NOUVELLE PIÈCE EST DÉFINIE APRÈS DE NOMBREUSES LECTURES DE TEXTES ÉPROUVANTES...! ! !

CHERS COMÉDIENS, CHOISISSEZ VOTRE RÔLE EST METTEZ VOUS AU TRAVAIL DES MAINTENANT...! ! !
Ce sera pour la saison 2015 / 2016 une pièce tragicomique classique :

L'EUNUQUE
DE JEAN DE LA FONTAINE



À PARIS, Chez AUGUSTIN COURBÉ, au Palais, en la Galerie des Merciers, à la Palme.

Cette œuvre n'a pas été représentée.

La comédie "L'Eunuque" est une adaptation libre de celle de Térence qui porte le même nom. En 1654, l'Eunuque fut la première oeuvre publiée par Jean de La Fontaine.


PERSONNAGES.

CHERÉE, amant de Pamphile.

PARMENON, esclave et confident de Phédrie.

PAMPHILE, maîtresse de Cherée.

PHÉDRIE, amant de Thaïs. THAÏS, maîtresse de Phédrie.

THRASON, capitan, et rival de Phédrie.

GNATON, parasite, et confident de Thrason.

DAMIS, père de Phédrie et de Cherée.

CHREMÈS, frère de Pamphile.

PYTHIE, femme de chambre de Thaïs.

DORIE, servante de Thaïs.

DORUS, eunuque.

SIMALION, soldat de Thrason.

DONAX, soldat de Thrason.

SYRISCE, soldat de Thrason.

SANGA, soldat de Thrason.

La scène est à Château-Thierry sur la place du marché.

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.
Phédrie, Parménon.

PARMENON.

Hé bien ! on vous a dit qu'elle était empêchée :

Est-ce là le sujet dont votre âme est touchée ?

Peu de chose en amour alarme nos esprits.

Mais il n'est pas besoin d'excuser ce mépris ;

5  
Vous n'écoutez que trop un discours qui vous flatte.

PHÉDRIE.

Quoi ! je pourrais encor brûler pour cette ingrate

Qui, pour prix de mes voeux, pour fruit de mes travaux,

Me ferme son logis, et l'ouvre à mes rivaux !

Non, non, j'ai trop de coeur pour souffrir cette injure ;

10  
Que Thaïs à son tour me presse et me conjure,

Se serve des appas d'un oeil toujours vainqueur,

M'ouvre non seulement son logis, mais son coeur.

J'aimerais mieux mourir qu'y rentrer de ma vie.

D'assez d'autres beautés Athènes est remplie :

15  
De ce pas à Thaïs va le faire savoir,

Et lui dis de ma part...

PARMENON.

« Adieu, jusqu'au revoir. »

PHÉDRIE.

Non, non, dis-lui plutôt adieu pour cent années.

PARMENON.

Peut-être pour cent ans prenez-vous cent journées ;

Peut-être pour cent jours prenez-vous cent moments ;

20  
Car c'est souvent ainsi que comptent les amants.

PHÉDRIE.

Je saurai désormais compter d'une autre sorte.

PARMENON.

Pour s'éteindre si tôt votre flamme est trop forte.

PHÉDRIE.

Un si juste dépit peut l'éteindre en un jour.

PARMENON.

Plus ce dépit est grand, plus il marque d'amour.

25  
Croyez-moi, j'ai de l'âge et quelque expérience :

Vous l'irez tantôt voir, rempli d'impatience ;

L'amour l'emportera sur cet affront reçu ;

Et ce puissant dépit, que vous avez conçu,

S'effacera d'abord par la moindre des larmes

30  
Que d'un oeil quasi sec, mais d'un oeil plein de charmes,

En pressant sa paupière, elle fera sortir,

Savante en l'art des pleurs, comme en l'art de mentir.

Et n'accusez que vous si Thaïs en abuse,

Qui, dès le premier mot de pardon et d'excuse,

35  
Lui direz bonnement l'état de votre coeur ;

Que bientôt du dépit l'amour s'est fait vainqueur ;

Que vous en seriez mort s'il avait fallu feindre.

« Quoi ! deux jours sans vous voir ? Ah ! c'est trop se contraindre.

Je n'en puis plus, Thaïs : vous êtes mon désir,

40  
Mon seul objet, mon tout ; loin de vous, quel plaisir ? »

Cela dit, c'en est fait, votre perte est certaine.

Cette femme aussitôt, fine, adroite et hautaine,

Saura mettre à profit votre peu de vertu,

Et triompher de vous, vous voyant abattu.

45  
Vous n'en pourrez tirer que des promesses vaines,

Point de soulagement ni de fin dans vos peines,

Rien que discours trompeurs, rien que feux inconstants ;

C'est pourquoi songez-y tandis qu'il en est temps :

Car, étant rembarqué, prétendre qu'elle agisse     [1]

50  
Plus selon la raison que selon son caprice,

C'est fort mal reconnaître et son sexe et l'amour ;

Ce ne sont que procès, que querelles d'un jour,

Que trêves d'un moment, ou quelque paix fourrée,

Injure aussitôt faite, aussitôt réparée,

55  
Soupçons sans fondement, enfin rien d'assuré.

Il vaut mieux n'aimer plus, tout bien considéré.

PHÉDRIE.

L'amour a ses plaisirs aussi bien que ses peines.

PARMENON.

Appelez-vous ainsi des faveurs incertaines ?

Et, si près de l'affront qui vous vient d'arriver,

60  
Faites-vous cas d'un bien qu'on ne peut conserver ?

PHÉDRIE.

Si Thaïs dans sa flamme eût eu de la constance,

J'eusse estimé ce bien plus encor qu'on ne pense,

Et, bornant mes désirs dans sa possession,

J'aurais jusqu'à l'hymen porté ma passion.     [2]

PARMENON.

65  
Vous, épouser Thaïs ! Une femme inconnue,

Sans amis, sans parents, de tous biens dépourvue,

Veuve ; et contre le gré de ceux de qui la voix

Dans cette occasion doit régler votre choix !

Ce discours, sans mentir, me surprend et m'étonne.

70  
Je n'ai pas entrepris de blâmer sa personne :

Elle est sage ; et l'accueil qu'en ont tous ses amants

N'aboutit, je le crois, qu'à de vains compliments.

Mais...

PHÉDRIE.

Il suffit, le reste est de peu d'importance.

Thaïs, quoique étrangère, est de noble naissance.

75  
Qu'importe qu'un époux ait régné sur son coeur ?

Sa beauté, toujours même, est encore en sa fleur.

Quant aux biens, ce souci n'entre point dans mon âme ;

Et je ne prétends pas me vendre à quelque femme

Qui, m'ayant acheté pour me donner la loi,

80  
Se croirait en pouvoir de disposer de moi.

En l'état où les dieux ont mis notre famille,

Je dois estimer l'or bien moins qu'un oeil qui brille.

Aussi le seul devoir a contraint mon désir,

Sans que je laisse aux miens le pouvoir de choisir.

85  
Sans doute à l'épouser j'eusse engagé mon âme :

Ne cachons point ici la moitié de sa flamme ;

C'est à tort que des miens j'allègue le pouvoir,

Et je cède au dépit bien plus qu'à mon devoir.

PARMENON.

Vous cédez à l'amour plus qu'à votre colère ;

90  
Ce courroux implacable en soupirs dégénère ;

Vous faisiez tantôt peur, et vous faites pitié.

Votre coeur, sans mentir, est de bonne amitié ;

Ce qu'il a su chérir, rarement il l'abhorre :

Il adorait ses fers, il les respecte encore.     [3]

95  
Ces fers à leur captif n'ont rien qu'à se montrer :

Qui n'en sort qu'à regret est tout près d'y rentrer.

PHÉDRIE.

Tais-toi, j'entends du bruit, quelqu'un sort de chez elle.

PARMENON.

Que vous faites bon guet !

PHÉDRIE.

Si c'était ma cruelle ?

PARMENON.

Déjà vôtre, bons dieux !

PHÉDRIE.

Ah !

PARMENON.

Retenez vos pleurs.

PHÉDRIE.

100  
Je sais qu'elle est perfide ; et je l'aime, et je meurs,

Et je me sens mourir, et n'y vois nul remède,

Et craindrais d'en trouver, tant l'amour me possède.

PARMENON.

L'aveu me semble franc, libre, net, ingénu.

PHÉDRIE.

Tu vois en peu de mots mes sentiments à nu.

PARMENON.

105  
Si je les voyais seul, encor seriez-vous sage ;

Mais cette femme en voit autant ou davantage,

Et connaît votre mal ; non pas pour vous guérir.

PHÉDRIE.

Je ne vois rien d'aisé comme d'en discourir ;

Mais, si tu ressentais une semblable peine,

110  
Peut-être verrais-tu ta prudence être vaine.

PARMENON.

Au moins, s'il faut souffrir, endurez doucement ;

L'amour est de soi-même assez plein de tourment,

Sans que l'impatience augmente encor le vôtre.

Au chagrin de ce mal n'en ajoutez point d'autre :

115  
Aimez toujours Thaïs, et vous aimez aussi.

PHÉDRIE.

Le conseil en est bon, mais...

PARMENON.

Quoi mais ?

PHÉDRIE.

La voici.

PARMENON.

Sa présence met donc vos projets en fumée ?

PHÉDRIE.

Pour ne te point mentir, mon âme en est charmée.

SCÈNE II.
Phédrie, Thaïs, Parménon.

THAÏS.

Ah, Phédrie ! Hé bons dieux ! Quoi, vous voir en ce lieu

120  
Vraiment vous avez tort : que n'entrez-vous ?

PHÉDRIE.


Adieu.

THAÏS.

Adieu ! Le mot est bon, et vaut que l'on en rie.

PHÉDRIE.

Quoi ? Thaïs, à l'affront joindre la raillerie !

C'est trop.

THAÏS.

De quel affront entendez-vous parler ?

PHÉDRIE.

Voyez, qu'il lui sied bien de le dissimuler !

THAÏS.

125  
Pour le moins dites-moi d'où vient votre colère ?

PHÉDRIE.

Me gardiez-vous, ingrate, un refus pour salaire ?

Après tant de bienfaits, après tant de travaux,

M'exclure, et recevoir je ne sais quels rivaux !

THAÏS.

Je ne pus autrement, et j'étais empêchée.

PHÉDRIE.

130  
Encor si, comme moi, vous en étiez touchée,

Ou bien si, comme vous, je pouvais m'en moquer !

THAÏS.

Vous êtes délicat, et facile à piquer.

Écoutez mes raisons d'un esprit plus tranquille :

Pour quelque autre dessein l'excuse était utile,

135  
Et vous l'approuverez vous-même assurément.

PARMENON.

Elle aura par amour renvoyé notre amant,

Et par haine sans doute admis l'autre en sa place.

THAÏS.

Parmenon pourrait-il me faire assez de grâce

Pour n'interrompre point un discours commencé ?

PARMENON.

140  
Oui, mais rien que de vrai ne vous sera passé.

THAÏS.

Pour vous mieux débrouiller le noeud de cette affaire,

Je prendrai de plus haut le récit qu'il faut faire.

Quoiqu'on ignore ici le nom de mes parents,

Ils ont en divers lieux tenu les premiers rangs :

145  
Samos fut leur patrie, et Rhodes leur demeure.     [4]

PARMENON.

Tout cela peut passer, je n'en dis rien pour l'heure :

Il faut voir à quel point vous voulez arriver.

THAÏS.

Là, tandis que leurs soins étaient de m'élever,

On leur fit un présent d'une fille inconnue

150  
Qui dans Rhodes était pour esclave tenue.

Bien qu'elle fût fort jeune, et n'eût lors que quinze ans,

Elle nous dit son nom, celui de ses parents,

Qu'on l'appelait Pamphile, et qu'elle était d'Attique,     [5]

Que ses parents avaient encore un fils unique,

155  
Qu'il se nommait Chromer, que c'était leur espoir.

C'est tout ce que l'on put à cet âge en savoir.

Chacun jugeait assez qu'elle était de naissance ;

Son entretien naïf et rempli d'innocence,

Mille charmes divers, sa beauté, sa douceur,

160  
Me la firent chérir à l'égal d'une soeur.

Dès qu'elle fut chez nous, on eut soin de l'instruire.

Pour moi, comme j'étais d'un âge à me conduire,

À peine on eut appris qu'on me voulait pourvoir,

Qu'un jeune homme d'Attique, étant venu nous voir,

165  
Me recherche, m'obtient, m'amène en cette ville,

Où, lorsque je croyais notre hymen plus tranquille,

Il mourut ; et, laissant tout mon bien engagé,

De mille soins fâcheux mon coeur se voit chargé.

Ils accrurent le deuil de ce court hyménée ;

170  
Et, comme on voit aux maux une suite enchaînée,

Le sort, pour m'accabler de cent coups différents,

Causa presque aussitôt la mort de mes parents :

Un mal contagieux les eut privés de vie,

Avant que de ce mal je pusse être avertie.

175  
Leur bien, jusques alors assez mal ménagé,

D'un oncle que j'avais ne fut point négligé ;

Avec nos créanciers il en fait le partage,

Et sut de mon absence avoir cet avantage.

Je l'appris sans dessein de l'aller contester :

180  
L'ordre que dans ces lieux je devais apporter

(Bien moins que le regret d'une mort si funeste)

Fit qu'en perdant les miens, j'abandonnai le reste.

J'en observai le deuil qu'exigeait mon devoir :

Tout un an se passa sans qu'aucun pût me voir.

185  
Enfin, notre soldat vint m'offrir son service ;

Loin de me consoler, ce m'était un supplice.

Vous savez qu'on ne peut le souffrir sans ennui ;

Je l'ai pourtant souffert, espérant quelque appui.

PARMENON.

Vous tirez de mon maître encor plus d'assistance.

THAÏS.

190  
Je l'avoue, et voudrais qu'une autre récompense

Égalât les bienfaits dont il me sait combler.

PARMENON.

Hélas ! Le pauvre amant commence à se troubler.

PHÉDRIE.

Te tairas-tu ? Thaïs, achevez, je vous prie.

THAÏS.

Au bout de quelque temps Thrason fut en Carie ;     [6]

195  
Et vous savez qu'à peine il était délogé,

Qu'on vous vit à m'aimer aussitôt engagé.

Vous me vîntes offrir et crédit et fortune :

J'en estimai dès lors la faveur peu commune ;

Et vous n'ignorez pas combien, depuis ce jour,

200  
J'ai témoigné de zèle à gagner votre amour.

PHÉDRIE.

Je crois que Parmenon n'a garde de se taire.

PARMENON.

En pourriez-vous douter ? Mais où tend ce mystère ?

PHÉDRIE.

Tu le sauras trop tôt pour mon contentement.

THAÏS.

Écoutez-moi, de grâce, encore un seul moment.

205  
Thrason notre soldat, battu par la tempête,

Au port des Rhodiens jette l'ancre et s'arrête,

Va voir notre famille, y trouve encor le deuil,

Mes parents depuis peu renfermés au cercueil,

Mon oncle ayant mes biens, cette fille adoptive

210  
Prête d'être vendue, et traitée en captive.

Il l'achète aussitôt pour me la redonner,

Puis fait voile en Carie, et, sans y séjourner,

Revient en ce pays, où quelque parasite

Lui dit qu'en son absence on me rendait visite ;

215  
Que, s'il avait dessein de me donner ma soeur,

À présent méritait quelque insigne faveur.

PHÉDRIE.

Ne vaudra-t-il pas mieux qu'on lui laisse Pamphile ?

THAÏS.

Je me résous à suivre un conseil plus utile.

Vous savez qu'en ce lieu je n'ai point de parents,

220  
Qu'il me peut chaque jour naître cent différends ;

Et, bien que vous preniez contre tous ma défense,

Souvent un contre tous peut manquer de puissance.

Souffrez donc que je cherche un appui loin des miens :

Je n'en saurais trouver qu'en la rendant aux siens.

225  
Je ne puis l'obtenir sans quelque complaisance :

Il faut donc vous priver deux jours de ma présence ;

La peine en est légère, et, ce temps achevé,

Le reste vous sera tout entier conservé.

Gagne cela sur toi, de grâce, je t'en prie.

230  
Tu ne me réponds rien, dis-moi, mon cher Phédrie ?

PHÉDRIE.

Que pourrais-je répondre, ingrate, à ces propos ?

Voyez, voyez Thrason : je vous laisse en repos ;

Faites-lui la faveur qu'un autre a méritée ;

C'est où tend cette histoire assez bien inventée :

235  
« Une fille inconnue est prise en certains lieux ;

On nous en fait présent, elle charme nos yeux ;

Thrason vient à m'aimer, vous me rendez visite,

Il me quitte, il apprend nos feux d'un parasite ;

Les miens perdent le jour, mon oncle prend mes biens,

240  
Vend la fille à Thrason, je la veux rendre aux siens » ;

Et cent autres raisons l'une à l'autre enchaînées ;

Puis, enfin, « de me voir privez-vous deux journées ».

C'était donc là le but où devait aboutir

La fable que chez vous vous venez de bâtir ?     [7]

245  
Sans perdre tant de temps, sans prendre tant de peine,

Que ne me disiez-vous : « J'aime le capitaine ;

N'opposez point vos feux à cet ardent désir.

Vous aurez plus tôt fait d'endurer qu'à loisir

Je contente l'ardeur que pour lui j'ai conçue.

250  
Dites, si vous voulez, que la vôtre est déçue ;

Prenez-en pour témoins les hommes et les dieux :

Pourvu qu'incessamment il soit devant mes yeux,

Il m'importe fort peu de passer pour parjure. »

THAÏS.

Je vous aime, et pour vous je souffre cette injure.     [8]

PHÉDRIE.

255  
Vous m'aimez ! c'est en quoi mon esprit est confus :

L'amour peut-il souffrir de semblables refus ?

THAÏS.

Je ne vous réponds point, de peur de vous déplaire ;

Il faut que ma raison cède à votre colère.

je ne veux point de temps, non pas même un seul jour,

260  
Je renonce à ma soeur plutôt qu'à votre amour.

PHÉDRIE.

Plutôt qu'à mon amour ! Ah ! si du fond de l'âme

Ce mot était sorti...

THAÏS.

Doutez-vous de ma flamme ?

PHÉDRIE.

J'aurai lieu d'en douter si, ce terme fini,

Tout autre amant que moi de chez vous n'est banni.

THAÏS.

265  
Quel terme ?

PHÉDRIE.


De deux jours.

THAÏS.


Ou trois.

PHÉDRIE.


Cet « ou » me tue.

THAÏS.

Ôtons-le donc.

PARMENON.

Enfin sa constance abattue

Cède aux charmes d'un mot : je l'avais bien prévu.

PHÉDRIE.

À ce que vous savez aujourd'hui j'ai pourvu.

Votre soeur peut avoir un eunuque auprès d'elle ;     [9]

270  
J'en viens d'acheter un qui me semble fidèle,

Et tantôt Parmenon viendra pour vous l'offrir.

Souffrez votre soldat, puisqu'il faut le souffrir ;

Mais ne le souffrez point sans beaucoup de contrainte :

Donnez-lui seulement l'apparence et la feinte.

275  
Pendant vos compliments, songez à votre foi ;

De corps auprès de lui, de coeur auprès de moi,

Rêvez incessamment, chez vous soyez absente.

THAÏS.

Vous ne demandez rien que Thaïs n'y consente ;

Et ce point ne saurait vous être refusé.

PHÉDRIE.

280  
Adieu.

THAÏS.


Comment ! Si tôt ?

PARMENON.


Que son esprit rusé,

Pour attraper notre homme, a d'art et de souplesse !

THAÏS.

Vous voyez mon amour en voyant ma faiblesse ;

Je ne vous puis quitter que les larmes aux yeux :

Soyez toujours, Phédrie, en la garde des dieux.

SCÈNE III.
Phédrie, Parménon.

PARMENON.

285  
Est-il dans l'Univers innocence pareille ?

Qui la condamnerait en lui prêtant l'oreille ?

Que Thaïs a sujet de se plaindre de moi !

C'est un chef-d'oeuvre exquis de constance et de foi.

PHÉDRIE.

N'as-tu pas vu ses yeux laisser tomber des larmes ?

290  
Pour guérir mon soupçon qu'ils employaient de charmes !

PARMENON.

En matière de femme, on ne croit point aux pleurs :

Un serpent, je le gage, est caché sous ces fleurs.

PHÉDRIE.

Non, non, pour ce coup-ci je dois être sans crainte :

Ce qu'en obtient Thrason marque trop de contrainte ;

295  
Peut-être le voit-elle afin de l'épouser ;

En ce cas, c'est moi seul que je dois accuser.

Que n'ai-je découvert le fond de ma pensée ?

Dans un plus haut dessein je l'eusse intéressée ;

Elle aurait bientôt su m'assurer de sa foi,

300  
Bannir tous ses amants, ne vivre que pour moi,

Puisque sans cet espoir tu vois qu'on me préfère.

Les deux jours expirés, je propose l'affaire ;

Il faut ouvrir son coeur, et ne point tant gauchir.

PARMENON.

Que diront vos parents ?

PHÉDRIE.

On pourra les fléchir :

305  
Du moins nous attendrons que la Parque cruelle     [10]

M'ait, par un coup fatal, rendu libre comme elle.

Éloignent les destins ce coup qu'il faudra voir,

Et fassent que d'ailleurs dépendent mon espoir !

D'une ou d'autre façon je suivrai cette envie,

310  
Dont tu vois que dépend tout le cours de ma vie.

Censure mon projet, ravale sa beauté,

Dis ce que tu voudras, le sort en est jeté.

Montre-lui cependant l'eunuque sans remise ;

Et de peur qu'à l'abord Thaïs ne le méprise,

315  
Soigne, avant que l'offrir, qu'il soit mieux ajusté,

Et que par ton discours son prix soit augmenté.

Dis qu'on l'a fait venir des confins de l'Asie,

Qu'on l'a pris d'une race entre toutes choisie,

Qu'il chante et sait jouer de divers instruments.

320  
Accompagne le don de quelques compliments :

Jure que pour maîtresse il mérite une reine ;

Que Thaïs l'est aussi, régnant en souveraine

Sur tous mes sentiments ; et mille autres propos.

PARMENON.

Tenez le tout pour fait, et dormez en repos.

PHÉDRIE.

325  
S'il se peut ; mais aux champs aussi bien qu'à la ville

Je sens que mon esprit est toujours peu tranquille :

Il me faut toutefois éprouver aujourd'hui

Ce qu'ils auront d'appas à flatter mon ennui.

PARMENON.

À votre prompt retour nous en saurons l'issue.

PHÉDRIE.

330  
Peut-être verras-tu ta croyance déçue.

Seulement prends le soin...

PARMENON.

Allez, je vous entends.

SCÈNE IV.

PARMENON, seul.

Ah ! combien l'amour change un homme en peu de temps

Devant que le hasard eut offert à sa vue

Les fatales beautés dont Thaïs est pourvue,

335  
Cet amant n'avait rien qui ne fût accompli ;

De louables désirs son coeur était rempli ;

Il ne prenait de soins que pour la République ;

Et même le ménage, où trop tard on s'applique,

De ses plus jeunes ans n'était point négligé.

340  
Aujourd'hui qu'une femme à ses lois l'a rangé,

Ce n'est qu'oisiveté, que crainte, que faiblesse :

Le nombre des amis, la grandeur, la noblesse,

Et tant d'autres degrés pour un jour parvenir

Au rang que ses dieux ont jadis su tenir,

345  
Sont des noms odieux, dont cette âme abattue

A toujours craint de voir sa flamme combattue ;

Et quelque bon dessein qu'enfin il ait formé,

Il ne saurait quitter ce logis trop aimé.

Ne s'en revient-il pas me changer de langage ?

SCÈNE V.
Phédrie, Parménon.

PARMENON.

350  
Sans mentir, c'est à vous d'entreprendre un voyage.

Quoi déjà de retour ! Vous savez vous hâter.

PHÉDRIE.

Pour te dire le vrai, j'ai peine à la quitter.

PARMENON.

Du lieu d'où vous venez dites-nous quelque chose :

Les champs auraient-ils fait une métamorphose ?

355  
Et depuis le long temps que vous êtes parti,

Ce violent désir s'est-il point amorti ?

PHÉDRIE.

Pourquoi s'embarrasser d'un voyage inutile ?

Si Thrason dès l'abord fait présent de Pamphile,

Thaïs ayant sa soeur peut lui manquer de foi.

PARMENON.

360  
Mais s'il retient aussi Pamphile auprès de soi,

Connaissant de Thaïs les faveurs incertaines ?

PHÉDRIE.

Ne puis-je pas toujours attendre dans Athènes ?

PARMENON.

Deux jours sans vous montrer ?

PHÉDRIE.

Quatre, s'il est besoin.

PARMENON.

Du bonheur d'un rival vous seriez le témoin ?

PHÉDRIE.

365  
À te dire le vrai, ce seul penser me tue,     [11]

Et vois bien qu'il vaut mieux m'éloigner de leur vue.

Adieu.

PARMENON.

Combien de fois voulez-vous revenir ?

PHÉDRIE, revenant :.

J'omettais, en effet, qu'il te faut souvenir

De m'envoyer quelqu'un, si Thaïs me rappelle ;

370  
Mais que le messager soit discret et fidèle,

Et surtout diligent, c'est le principal point :

Pour toi, prends garde à tout, et ne t'épargne point.

PARMENON.

Je n'ai que trop d'emploi, n'ayez peur que je chomme.

PHÉDRIE, revenant.

À propos, prends le soin de bien styler notre homme.

PARMENON.

375  
Quel homme ?

PHÉDRIE.


Notre eunuque.

PARMENON.


À servir d'espion ?

PHÉDRIE.

Il le faut employer dans cette occasion.

PARMENON, voyant Phédrie s'en aller.

Que de desseins en l'air son ardeur se propose !

PHÉDRIE, retournant, et donnant une bourse à Parmenon.

Je savais bien qu'encor j'oubliais quelque chose :

Aux valets de Thaïs, tiens, fais quelque présent ;

380  
C'est de tous les secrets le meilleur à présent.

PARMENON.

Est-ce là le dépit conçu pour cette injure ?

N'avez-vous fait serment que pour être parjure ?

PHÉDRIE.

Voudrais-tu que jamais on ne pût m'apaiser ?

PARMENON.

Votre bon naturel ne se peut trop priser :

385  
Qui pardonne aisément mérite qu'on le loue.

PHÉDRIE.

Vraiment je suis d'avis qu'un esclave me joue,

Qu'il tranche du railleur, qu'il fasse l'entendu.

PARMENON.

Quoi ! Vous voulez qu'encor tout ceci soit perdu ?

PHÉDRIE.

Garde bien au retour de m'en rendre une obole.     [12]

PARMENON.

390  
Vous serez obéi, Monsieur, sur ma parole.

PHÉDRIE.

Je l'entends d'autre sorte, et veux qu'on donne à tous.

PARMENON.

Nous pouvons leur donner, et retenir pour nous.

PHÉDRIE.

Adieu ; que du soldat sur tous il te souvienne.

PARMENON.

Fuyons vite d'ici, de peur qu'il ne revienne.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.

GNATON.

395  
Que le pouvoir est grand du bel art de flatter !

Qu'on voit d'honnêtes gens par cet art subsister !

Qu'il s'offre peu d'emplois que le sien ne surpasse,

Et qu'entre l'homme et l'homme il sait mettre d'espace !

Un de mes compagnons, qu'autrefois on a vu

400  
Des dons de la fortune abondamment pourvu,

Qui, tenant table ouverte, et toujours des plus braves

Voulait être servi par un monde d'esclaves,

Devenu maintenant moins superbe et moins fier,

S'estimerait heureux d'être mon estafier.     [13]

405  
Naguère en m'arrêtant il m'a traité de maître ;

Le long temps et l'habit me l'ont fait méconnaître,

Autant qu'il était propre, aujourd'hui négligé :

Je l'ai trouvé d'abord tout triste et tout changé.

« Est-ce vous ? » ai-je dit. Aussitôt il me conte

410  
Les malheurs qui causaient son chagrin et sa honte ;

Qu'ayant été d'humeur à ne se plaindre rien ,

Ses dents avaient duré plus longtemps que son bien,

Et qu'un jeûne forcé le rendait ainsi blême.

« Pauvre homme ! n'as-tu point de ressource en toi-même ?

415  
Manque-t-il au besoin d'adresse et de vertu ?

Compare à ce teint frais ta peau noire et flétrie ;

J'ai tout, et je n'ai rien que par mon industrie.

À moins que d'en avoir pour gagner un repas,

Les morceaux tout rôtis ne te chercheront pas.

420  
Enfin veux-tu dîner n'ayant plus de marmite ?

Ai-je répondu lors ; et ton coeur abattu

Imite mon exemple, et fais-toi parasite ;

Tu ne saurais choisir un plus noble métier.

- Gardez-en, m'a-t-il dit, le profit tout entier :

425  
On ne m'a jamais vu ni flatteur, ni parjure :

Je ne saurais souffrir ni de coup, ni d'injure ;

Et, lorsque j'ai d'un bras senti la pesanteur,

Je ne suis point ingrat envers mon bienfaiteur.

D'ailleurs faire l'agent, et d'amour s'entremettre,

430  
Couler dans une main le présent et la lettre,

Préparer les logis, faire le compliment ;

Quand Monsieur est entré, sortir adroitement,

Avoir soin que toujours la porte soit fermée,

Et manger, comme on dit, son pain à la fumée ;

435  
C'est ce que je ne puis, ni ne veux pratiquer.

Adieu. » Moi de sourire, et lui de s'en piquer.

« Il s'en trouve, ai-je dit, qu'à bien moins on oblige

Et c'est là le vieux jeu qu'à présent je corrige.

On voit parmi le monde un tas de sottes gens

440  
Qui briguent des flatteurs les discours obligeants :

Ceux-là me duisent fort ; je fuis ceux qui sont chiches,

Et cherche les plus sots, quand ils sont les plus riches.     [14]

Je les repais de vent, que je mets à haut prix ;

Prends garde à ce qui peut allécher leurs esprits ;

445  
Sais toujours applaudir, jamais ne contredire ;

Être de tous avis, en rien ne les dédire ;

Du blanc donner au noir la couleur et le nom ;

Dire sur même point tantôt oui, tantôt non.

Ce sont ici leçons de la plus fine étoffe ;

450  
Je commente cet art, et j'y suis philosophe :

Le livre que j'en fais aura, sans contredit,

Plus que ceux de Platon, de vogue et de crédit. »

Nous nous sommes quittés, remettant la dispute ;

J'ai quelque ordre important qu'il faut que j'exécute :

455  
De la part d'un soldat, que je sers à présent,

Je vais trouver Thaïs, et lui faire un présent ;

Il est tel que mon âme en est presque tentée :

C'est une jeune esclave à Rhodes achetée :

L'âge en est de seize ans, l'embonpoint d'un peu plus,

460  
La taille en marque vingt ; et pour moi je conclus

Qu'elle soit, et pour cause, en vertu d'hyménée,

Aux désirs d'un époux bientôt abandonnée,

Ou je crains fort d'en voir quelque autre possesseur.

Ce grand abord de gens au logis de sa soeur,

465  
Le scrupule des noms d'ingrate et de cruelle,

De ces coeurs innocents la pitié criminelle,

Cent autres ennemis d'un honneur mal gardé,

Marquent le sien perdu, du moins fort hasardé.

Mais entre eux le débat. N'étant point ma parente,

470  
La suite m'en doit être au moins indifférente ;

L'exposant au danger sans crainte et sans souci,

Je m'en vais la quérir dans un lieu près d'ici ;

Et plût à quelque dieu qu'en passant par la rue,

Du rival de mon maître elle fût aperçue !

475  
Voici son Parmenon qui s'avance à propos ;

Pour peu qu'il tarde ici, nous en dirons deux mots.

SCÈNE II.

PARMENON.

Notre amant, ayant dit mille fois en une heure :

« Quoi ! s'éloigner des lieux où mon âme demeure !

N'irai-je pas ? Irai-je ? » Enfin s'est hasardé.

480  
Et mille fois encor m'a tout recommandé :

Que je prenne bien garde au nombre des visites

Qu'on peut rendre en personne ou bien par parasites ;

Qu'aux environs d'ici nul ne fasse un seul tour

Dont mon livre chargé ne l'instruise au retour ;

485  
Et que, si je surprends le soldat auprès d'elle,

Je tienne des clins d'oeil un registre fidèle ;

Écrive leurs propos de l'un à l'autre bout,

Ne laisse rien passer, et sois présent à tout :

Car le sage ne doit qu'à soi-même s'attendre.

490  
C'eût été pour quelque autre un plaisir de l'entendre ;

Moi, qui sans cesse marche, et qui trotte, et qui cours,

Je ne ris qu'à demi de semblables discours,

Et je souhaiterais, du fond de ma pensée,

Que le dieu Cupidon eût la tête cassée :

495  
Cela ferait grand bien aux pieds de cent valets.

J'approche de Thaïs, et voici son palais.

Quoi ! j'aperçois aussi notre flatteur à gage !

SCÈNE III.
Parménon, Gnaton conduisant Pamphile.

PARMENON.

Avance, homme de bien !

GNATON.

Contemple ce visage.

PARMENON.

Le coquin parle en prince, et n'est qu'un gueux parfait.

GNATON.

500  
Tu te penses moquer, je suis prince en effet.

PARMENON.

Des fous, cela s'entend.

GNATON.

Quoi ! des fous ? Il n'est sage

Qui sous moi ne dût faire un an d'apprentissage.

PARMENON.

En quel art ?

GNATON.

De goinfrer.

PARMENON.

Je le trouve très beau.

Si tu peux y savoir quelque secret nouveau,

505  
Il n'est point d'industrie à l'égal de la tienne.

GNATON.

Va, tu mérites bien que je t'en entretienne ;

Seulement traitons-nous un mois à tes dépens.

PARMENON.

Volontiers : mais dis-moi, sans me mettre en suspens,

Quelle est cette beauté qu'en triomphe tu mènes.

GNATON.

510  
Celle qui va bientôt t'épargner mille peines.

Je te trouve honnête homme, et suis fort ton valet.

D'un mois, par mon moyen, ni lettre, ni poulet,

Ni billet à donner, ni réponse à prétendre.

PARMENON.

Je commence, Gnaton, d'avoir peine à t'entendre.

GNATON.

515  
Ni nuits à faire guet avec tes yeux d'Argus.     [15]

PARMENON.

Tu me gênes l'esprit par ces mots ambigus ;

Veux-tu bien m'obliger ?

GNATON.

Comment ?

PARMENON.

De grâce, achève.

GNATON.

Avec toi pour un mois les courses ont fait trêve.

PARMENON.

Je le crois ; mais encor, dis-m'en quelque raison.

GNATON.

520  
Thaïs, par ce présent, sera toute à Thrason.

PARMENON.

Je veux qu'il soit ainsi : quelle en sera la suite ?

GNATON.

Pour un homme subtil, et si plein de conduite,

Tu devrais pénétrer et voir un peu plus loin :

Je veux, encore un coup, te délivrer de soin.

525  
Thrason voyant Thaïs, ceux dont elle est aimée

Peuvent tous s'assurer que sa porte est fermée :

Ton maître comme un autre ; et tu n'entendras plus

Ni souhaits impuissants, ni regrets superflus,

Ni :« Quel est ton avis ? » ni : « Fais-lui tel message. »

PARMENON.

530  
Ah ! Combien voit de loin l'homme prudent et sage !

J'avais peine à comprendre où tendait ce propos ;

Mais, grâce aux Immortels, j'aurai quelque repos.

GNATON.

Dis : grâces à Gnaton.

PARMENON.

Et rien pour cette belle ?

GNATON.

À propos, que t'en semble ?

PARMENON, voulant toucher Pamphile :.

Ô dieux ! qu'elle est rebelle

535  
Du bout du doigt à peine on ose lui toucher.

GNATON.

Nul mortel que Thrason n'a droit d'en approcher.

PARMENON.

Pour un si rare objet on peut tout entreprendre.

PAMPHILE.

Dieux ! Quelle patience il faut pour les entendre !

Gnaton, conduis-moi vite, et ne te raille point.

PARMENON.

540  
De grâce, écoute-moi, je n'ai plus qu'un seul point.

GNATON.

Dis ce que tu voudras.

PARMENON.

Quel est son nom ?

GNATON.

Pamphile.

PARMENON.

Point d'autre ?

GNATON.

Que t'importe ?

PARMENON.

Est-elle en cette ville

Depuis un fort long temps ?

GNATON.

Ton caquet m'étourdit.

PARMENON.

Saurai-je son pays, son âge ?

GNATON.

Est-ce tout dit ?

PARMENON.

545  
Tu te fais trop prier, n'étant pas si beau qu'elle.

GNATON.

Te confondent les dieux, et toute ta séquelle !

Je te sauve un gibet, te souhaitant ceci.

PARMENON.

Ton bon vouloir mérite un ample grand-merci :

Un jour nous t'en rendrons quelque digne salaire.

GNATON.

550  
Tu le peux sans tarder. Mais n'as-tu point affaire ?

PARMENON.

Pour toi, quand j'en aurais, je voudrais tout quitter.

GNATON.

De ce pas à Thaïs viens donc me présenter ;

Sers-moi d'introducteur.

PARMENON.

Tu ris, mais il n'importe.

Entre seul, tu le peux.

GNATON.

Tiens-toi donc à la porte,

555  
Et garde qu'on ne laisse entrer dans la maison

Quelque autre messager que celui de Thrason ;

Je t'en donne l'avis, comme ami de ton maître :

Et peut-être qu'un jour il saura reconnaître

De quelque bon repas ce conseil important.

PARMENON.

560  
Encor deux jours de vie, et je mourrai content.

GNATON.

Il te faut bien un mois à la bonne mesure.

PARMENON.

Non, non, je te rendrai ces mots avec usure,     [16]

Dans deux jours au plus tard.

GNATON.

Nous le verrons. Adieu.

PARMENON.

Mon galant est parti : qu'ai-je affaire en ce lieu ?

565  
J'avais dessein de voir cette soeur prétendue ;

Et je me trompe fort, ou c'est peine perdue

De s'en aller offrir, après un tel présent,

Notre vieillard flétri, chagrin et mal plaisant ;

Mais il faut obéir.

SCENE IV.
Chérée, Parménon.

PARMENON.

Où courez-vous, Cherée ?

CHERÉE.

570  
C'en est fait, Parmenon, ma perte est assurée.

PARMENON.

Comment ?

CHERÉE.

L'as-tu point vue en passant par ces lieux ?

PARMENON.

Qui ?

CHERÉE.

Certaine beauté, qui, s'offrant à mes yeux,

N'a rien fait que paraître, et s'est évanouie.

PARMENON.

Vous en avez la vue encor toute éblouie.

CHERÉE.

575  
Ô dieux ! Mais où chercher ? Que le maudit procès

Puisse avoir quelque jour un sinistre succès !

PARMENON.

Comment ? Quoi ? Quel procès ?

CHERÉE.

Ah ! Si tu l'avais vue !

PARMENON.

Et qui ?

CHERÉE,.

Cette beauté de mille attraits pourvue.

PARMENON.

Hé bien ?

CHERÉE.

Tu l'aimerais, et cet objet charmant

580  
Ne peut souffrir qu'un coeur lui résiste un moment.

Ne me parle jamais de tes beautés communes ;

Leurs caresses me sont à présent importunes,

Rien que de celle-ci mon coeur ne s'entretient.

PARMENON.

Vraiment ! C'est à ce coup que le bon homme en tient.

585  
L'un de ses fils aimait ; l'autre, plein de furie,

Passera les transports de son frère Phédrie.

De l'humeur dont je sais que le cadet est né,

Ce ne sera que jeu, dans deux jours, de l'aîné.

CHERÉE.

Aussi ne saurait-il avoir l'âme charmée

590  
Des traits d'une beauté plus digne d'être aimée.

PARMENON.

Peut-être.

CHERÉE.

En doutes-tu ?

PARMENON.

C'est un trop long discours.

Vous aimez ?

CHERÉE.

À tel point que si d'un prompt secours...

PARMENON.

Tout beau, demeurons là, ne marchons pas si vite :

Où prétendez-vous donc ce soir aller au gîte ?

CHERÉE.

595  
Hélas ! S'il se pouvait, chez l'aimable beauté.

PARMENON.

Certes, pour un malade il n'est point dégoûté.

CHERÉE.

Tu ris et je me meurs.

PARMENON.

Mais encor, quel remède

Faudrait-il apporter au mal qui vous possède ?

CHERÉE.

De ce mot de remède en vain tu m'entretiens,

600  
Si par tes prompts efforts bientôt je ne l'obtiens.

Tu m'as dit tant de fois : « Essayez mon adresse ;

Votre âge le permet, aimez, faites maîtresse. »

J'aime, j'en ai fait une : achève, et montre-moi

Que mon coeur se pouvait engager sur ta foi.

PARMENON.

605  
Je l'ai dit en riant, et sans croire votre âme,

Pour un discours en l'air, susceptible de flamme.

CHERÉE.

Qu'il ait été promis ou de bon ou par jeu ;

Si tes soins, Parmenon, ne me livrent dans peu

Cette même beauté qui captive mon âme,

610  
Je ne vois que la mort pour terminer ma flamme.

PARMENON.

Dépeignez-la-moi donc.

CHERÉE.

Elle est jeune, en bon point.

PARMENON.

Celui qui la menait ?

CHERÉE.

Je ne le connais point.

PARMENON.

Le nom d'elle ?

CHERÉE.

Aussi peu.

PARMENON.

Son logis ?

CHERÉE.

Tout de même ?

PARMENON.

Vous ne savez donc rien !

CHERÉE.

Rien, sinon que je l'aime.

PARMENON.

615  
Me voilà bien instruit. Quel chemin ont-ils pris ?

CHERÉE.

Tandis qu'elle arrêtait mes sens et mes esprits,

Notre hôte Archidemide, avec son front sévère,

Est venu m'aborder, et m'a dit que mon père

Ne faillît pas demain d'être son défenseur

620  
Contre l'injuste effort d'un puissant agresseur ;

Et, comme les vieillards sont longs en toute chose,

D'un récit ennuyeux il m'a déduit sa cause,

Tant qu'après notre adieu je n'ai plus aperçu

L'objet de ce désir qu'en passant j'ai conçu.

PARMENON.

625  
C'est être malheureux.

CHERÉE.


Autant qu'homme du monde.

PARMENON.

Vous l'avez bien maudit

CHERÉE.

Que le Ciel le confonde !

Depuis plus de deux ans nous ne nous étions vus.

PARMENON.

Il se rencontre ainsi des malheurs imprévus.

Celui qui la menait - est quelque homme de mine ?

CHERÉE.

630  
Rien moins. Tu le croirais un pilier de cuisine ;

Et lui seul, sans mentir, est aussi gras que deux.

PARMENON.

Son habit ?

CHERÉE.

Fort usé.

PARMENON.

Leur train ?     [17]

CHERÉE.

Je n'ai vu qu'eux.

PARMENON.

C'est elle assurément.

CHERÉE.

Qui ?

PARMENON.

Rassurez votre âme ;

Je connais maintenant l'objet de votre flamme...

CHERÉE.

635  
L'as-tu vue ?

PARMENON.


Elle-même.

CHERÉE.


Et tu sais son logis ?

PARMENON.

Je le sais.

CHERÉE.

Parmenon, dis-le-moi.

PARMENON.

Chez Thaïs.

Comme ils venaient d'entrer, je vous ai vu paraître ;

C'est un don que lui fait le rival de mon maître.

CHERÉE.

Il doit être puissant.

PARMENON.

Plus en bruit qu'en effet

CHERÉE.

640  
Qu'il m'en fasse un pareil, j'en serais satisfait.

PARMENON.

On vous croit sans jurer.

PARMENON.

Mais qu'en pense Phédrie ?

Je n'y vois point pour lui sujet de raillerie.

Qui saurait son présent le plaindrait beaucoup plus.

CHERÉE.

Quel présent ?

PARMENON.

Un vieillard impuissant et perclus,

645  
Sans esprit, sans vigueur, sans barbe, sans perruque,

Un spectre, un songe, un rien, pour tout dire un eunuque,

Dont encore il prétend, contre toute raison,

Pouvoir contrecarrer le présent de Thrason.

Si l'on nous laisse entrer, je veux perdre la vie.

CHERÉE.

650  
S'il est aussi reçu, qu'il me donne d'envie !

PARMENON.

Vous préservent les dieux d'un heur pareil au sien !     [18]

Ce serait pour Pamphile un mauvais entretien.

CHERÉE.

Quoi ! garder une fille et si jeune et si belle,

Coucher en même chambre, et manger auprès d'elle,

655  
La voir à tout moment sans crainte et sans soupçon,

Tu ne voudrais pas être heureux de la façon ?

PARMENON.

Vous pouvez aisément avoir cette fortune :

La ruse est assurée autant qu'elle est commune.

D'un voyage lointain depuis peu revenu,

660  
Sans doute chez Thaïs vous êtes inconnu :

Il faut prendre l'habit que notre eunuque porte :

Vous passerez pour lui, déguisé de la sorte.

Votre menton sans poil y doit beaucoup aider.

CHERÉE.

Et l'on me donnera cette belle à garder ?

PARMENON.

665  
Et sans doute à garder vous aurez cette belle.

Mais après ?

CHERÉE.

Innocent ! Je puis lors auprès d'elle

Boire, manger, dormir, lui parler en secret.

PARMENON.

Usez-en tout au moins comme un homme discret.

CHERÉE.

Tu ris ?

PARMENON.

Des vains projets où l'amour vous emporte.

670  
Vous vous croyez dedans avant qu'être à la porte :

Et, sans savoir encor quelle est cette beauté,

D'un espoir amoureux votre coeur est flatté :

Il faut auparavant s'acquérir une entrée.

CHERÉE.

L'échange proposé me la rend assurée.

PARMENON.

675  
Oui, s'il se pouvait faire.

CHERÉE.


À d'autres, Parmenon !

PARMENON.

Quoi ! vous avez donc cru que c'était tout de bon ?

CHERÉE.

Tout de bon ou par jeu, derechef il n'importe ;

Et, si je ne l'obtiens, ou d'une ou d'autre sorte,

Je suis mort.

PARMENON.

Mais avant que de vous engager,

680  
Pesez, encore un coup, la grandeur du danger.

CHERÉE,.

Trop de raisonnement peut nuire en telle affaire :

L'occasion se perd tandis qu'on délibère

Un autre la prendra, j'en aurai du regret.

PARMENON.

Mais au moins pourrez-vous me garder le secret ?

CHERÉE.

685  
Ne crains rien.

PARMENON.


Priez donc Amour qu'il favorise

De quelque bon succès cette haute entreprise.

CHERÉE.

Amour ! si sa beauté peut s'offrir à mes sens,

Tu ne manqueras plus ni d'autels, ni d'encens

ACTE III

SCÈNE I.

THRASON.

Il faut dire le vrai, j'en voulais à Pamphile ;

690  
Et, bien que pour Thaïs une amour plus facile

Étouffât celle-ci presque encore au berceau,

Sans mentir j'ai regret de perdre un tel morceau.

Je ne sais quel remords tient mon âme occupée ;

Mais encore être ainsi de mes mains échappée,

695  
C'est le comble du mal, et souffrir qu'un enfant

Des lacs d'un vieux routier se sauve en triomphant.

Me préservent les dieux d'une beauté naissante !

Il n'est point de méthode en amour si puissante

Qui ne fût inutile à qui s'en piquerait ;

700  
Souvent ces jeunes coeurs sont plus durs qu'on ne croit ;

Pour gagner son amour, je ne sais point de voie :

C'est un fort à tenir aussi longtemps que Troie.

J'aurais, sans me vanter, depuis qu'elle est chez moi,

Réduit à la raison quatre filles de roi.

705  
J'eusse pu l'épouser, mais je fuis la contrainte ;

Le seul nom de l'hymen me fait frémir de crainte ;

Et je ne voudrais pas que mon coeur fût touché

De l'espoir d'un royaume à Pamphile attaché.

Rien n'est tel, à qui craint une femme importune,

710  
Que de vivre en soldat, et chercher sa fortune.

On se pousse partout, on risque sans souci,

Et qui n'y gagne rien n'y peut rien perdre aussi.

Mais rarement Thrason se plaint-il d'une dame ;

Jusqu'ici peu d'objets ont régné sur son âme

715  
Sans payer son amour d'une ou d'autre façon.

Phédrie en pourrait bien avoir quelque leçon ;

Je n'en pense pas plus, n'étant point d'humeur vaine.

Voyons si notre agent aura perdu sa peine :

Le voici qui s'approche.

SCÈNE II.
Thraston, Gnaton.

THRASON.

Hé bien, qu'as-tu gagné ?

GNATON.

720  
Que de peine, Seigneur, vous m'avez épargné !

Je vous allais chercher au port et dans la place.

THRASON.

Tu me rapportes donc des actions de grâce ?

GNATON.

Le faut-il demander ? J'en suis tout en chaleur.

THRASON.

Enfin le don lui plaît ?

GNATON.

Non tant pour la valeur,

725  
Que pour venir de vous ; c'est là ce qui la touche,

Et ce qu'à tous moments elle a dedans la bouche,

Comme un des plus grands biens qu'elle ait jamais reçus.

Vous ririez de loisir triompher là-dessus.

THRASON.

Ce qui vient de ma part cause ainsi de la joie ;

730  
J'ai cent fois plus de gré d'un bouquet que j'envoie,

Qu'un autre n'en aurait de quelque don de prix,

Fût-ce même un trésor.

GNATON.

Vivent les bons esprits !

Il n'est, à bien parler, que manière à tout faire.

D'un travail de dix ans ce que le sot espère,

735  
L'honnête homme, d'un mot, le lui viendra ravir.

THRASON.

Aussi le roi m'emploie, et j'ai su le servir

À la guerre, en amour, auprès de ses maîtresses,

Quoique j'eusse souvent ma part de leurs caresses.

GNATON.

Mais s'il l'apprend aussi ?

THRASON.

Gnaton, soyez discret.

740  
Je ne découvre pas à tous un tel secret.

GNATON.

C'est fait en homme sage.

Tout bas, se tournant.

Il l'a dit à cent autres.

Haut.

Le roi n'agréait donc autres soins que les vôtres ?

THRASON.

Que les miens ; et parfois se trouvant dégoûté

Du tracas importun qui suit la royauté,

745  
Comme s'il eût voulu... tu comprends ma pensée ?

GNATON.

Prendre un peu de bon temps, toute affaire laissée.

THRASON.

Cela même. Aussitôt il m'envoyait quérir :

Seuls, ainsi nous Passions les jours à discourir

De cent contes plaisants que je lui savais faire ;

750  
Et s'il se présentait quelque importante affaire,

Après avoir le tout entre nous disposé,

Son conseil n'en avait qu'un reste déguisé ;

Et Souvent, malgré tous, ma Voix était suivie.

GNATON.

Lors chacun d'enrager, Mourir, Crever d'envie ?

THRASON.

755  
Et Thrason de s'en rire.

GNATON.


À l'oreille du roi ?

THRASON.

Qui peut te l'avoir dit ?

GNATON.

C'est qu'ainsi je le crois.

THRASON.

Sur ce propos, un jour qu'il remarquait leur peine,

Le chef des éléphants, appelé Métasthène,

Des plus considérés près du prince à présent,

760  
Ne se put revancher d'un trait assez plaisant.

Il mâchait de dépit quelque mot dans sa bouche,

Et me tournant les yeux : « Qui vous rend si farouche ?

Sont-ce les bêtes, dis-je, à qui vous commandez ? »

GNATON.

Et le roi, qu'en dit-il ?

THRASON.

Nous étant regardés,

765  
Il ne put à la fin s'empêcher de sourire.

Je dis, sans vanité, peu de mots qu'il n'admire.

GNATON.

Comme vous en parlez, c'est un prince poli.

THRASON.

Peu d'hommes ont, de vrai, l'esprit aussi joli :

Surtout il s'entend bien à placer son estime..

GNATON.

770  
Celle-qu'il fait de vous me semble légitime

THRASON.

T'ai-je dit un bon mot, qu'en un bal invité...

GNATON.

Non.

Bas, se tournant.

Plus de mille fois il me l'a raconté.

THRASON.

Nous étions régalés du satrape Orosmède,     [19]

Chacun avait sa nymphe : alors un Ganymède

775  
Approchant de la mienne, aussitôt je lui dis

Que les restes de Mars seraient pour Adonis.

GNATON.

Le jeune homme rougit ?

THRASON.

Belle demande à faire !

il rougit, et d'abord fut contraint de se taire :

Depuis chacun m'a craint

GNATON.

Avec juste raison

780  
N'ont-ils point un recueil des bons mots de Thrason

THRASON.

Je t'en conterais cent ; mais changeons de matière

Thaïs, comme tu sais, est femme assez altière,

Jalouse, et d'un esprit à tout craindre de moi :

Dois-je, en quittant sa soeur, lui confirmer ma foi ?

GNATON.

785  
Rien moins. Il vaut bien mieux la tenir en cervelle.

Ayez toujours en main quelque amitié nouvelle

De ce secret d'amour l'effet n'est pas petit ;

C'est par là qu'on maintient les coeurs en appétit

Et qu'on accroît l'amour au lieu de le détruire.

790  
Mais je fais des leçons à qui devrait m'instruire.

THRASON.

Comment un tel secret a-t-il pu m'échapper ?

GNATON.

Des soins plus importants pouvaient vous occuper ;

Vous rêviez, je m'assure, à quelque haut fait d'armes.

THRASON.

Il est vrai que la guerre a pour moi de tels charmes

795  
Qu'ils me font oublier tous les autres plaisirs.

THRASON.

Mais l'amour trouve aussi sa part dans vos désirs ?

THRASON.

Entre Mars et Vénus mon coeur se sent suspendre,

Est recherché des deux, ne sait auquel entendre.

Laissons là leur débat. Quel traité m'as-tu fait ?

GNATON.

800  
Tel qu'un plus amoureux en serait satisfait ;

Thaïs se veut purger de tous sujets de plainte :

Deux jours, par mon moyen, sans rival et sans crainte

Vous lui rendrez visite en dépit des jaloux.

THRASON.

Je t'aime.

GNATON.

Et du dîner sur moi reposez-vous ;

805  
Je l'ai fait, en passant, apprêter chez votre hôte.

THRASON.

De faim jamais Gnaton ne mourra par sa faute.

GNATON.

Qu'y faire ? il faut bien vivre ici comme autre part.

GNATON.

Retourne chez Thaïs, et dis-lui qu'il est tard.

SCÈNE III.
Thaïs, Thrason, Gnaton.

THAÏS.

Il n'en est pas besoin, je viens sans qu'on m'appelle.

THRASON.

810  
Sais-je faire un présent ?

THAÏS.


Certes la chose est belle ;

Mais je n'estime au don que le lieu dont il vient.

GNATON.

Notre dîner est prêt, S'il ne vous en souvient.

THRASON A Thaïs :.

Plus rare et d'autre prix je vous l'aurais donnée.

GNATON.

Toujours en compliments il se passe une année ;

815  
Le dîner nous attend, hâtons-nous, c'est assez.

THAÏS.

Nous ne sommes, Gnaton, pas encor si pressés.

Il me faut du logis donner charge à Pythie.

GNATON.

Tout ira comme il faut, j'en réponds sur ma vie.

THAÏS.

Sans avoir pris ce soin, je n'ose m'engager.

GNATON.

820  
Puissent mes ennemis de femmes se charger !

Elles n'ont jamais fait ; toujours nouvelle excuse.

THAÏS.

De vains retardements à tort on nous accuse ;

Votre sexe se laisse encor moins gouverner.

GNATON.

Ne tient-il point à moi que nous n'allions dîner ?

THAÏS.

825  
Ne plaise aux dieux, Gnaton, qu'on ait telle pensée.

GNATON.

Je ne vous en vois point pour cela plus pressée.

THAÏS.

Allons, si tu le veux.

SCÈNE IV.
Thaïs, Gnaton, Parménon amenant Cherée, Thrason.

PARMENON.

Un mot auparavant.

GNATON.

Nous voici, grâce aux dieux, aussi prêts que devant :

Je dînerai demain, s'il plaît à la fortune.

830  
Fais vite, Parmenon, ta harangue importune.

PARMENON.

Mon maître, par votre ordre absent de ce séjour,

Avecque ce présent vous offre le bonjour.

Je ne veux point passer la loi qui m'est prescrite,

Ni parler de ses pleurs quand il faut qu'il vous quitte :

835  
De vous-même à son mal vous pouvez compatir,

Et le croire affligé sans l'avoir vu partir.

Faisant un don plus riche, il eût eu plus de joie ;

Mais au moins de bon coeur croyez qu'il vous l'envoie.

THRASON.

Le présent peut passer.

THAÏS.

Il me charme en effet.

840  
Je ne l'aurais pas cru si beau, ni si bien fait.

PARMENON.

On l'appelle Doris : et quant à son adresse,

En tout ce que l'on doit apprendre à la jeunesse

On l'a, dès son jeune âge, instruit et façonné.

À quoi que de tout temps il se soit adonné,

845  
Soit aux arts libéraux, soit aux jeux d'exercice,

A sauter, à lutter, à courir dans la lice,

Il a toujours passé pour un des plus adroits.

Enfin, permettez-lui de parler quelquefois,

Vous l'entendrez bientôt en conter des plus belles ;

850  
Il vous entretiendra de cent choses nouvelles.

Mon maître cependant n'exige rien de vous :

Vous ne le trouverez importun ni jaloux ;

Il ne vous contera ni bons mots, ni faits d'armes ;

Et vous pourrez, Thaïs, disposer de vos charmes

855  
Sans craindre qu'il s'offense et vous tienne en souci,

Comme un de vos amants qui n'est pas loin d'ici.

Faites entrer chez vous soldats et parasites :

Pourvu qu'il puisse rendre à son tour ses visites

(J'entends quand vous serez d'humeur ou de loisir),

860  
Il se tiendra content par-delà son désir.

THRASON.

Si ton maître avait dit ce que tu viens de dire...

PARMENON.

Comme j'en suis l'auteur, vous n'en faites que rire ?

THRASON.

Dois-je contre un valet employer mon courroux ?

Que t'en semble, Gnaton ?

GNATON.

Seigneur, épargnez-vous.

THRASON.

865  
Je te croirai. Thaïs, ce parleur m'incommode.

GNATON.

De vrai, les compliments ne sont plus à la mode ;

Allons.

THAÏS.

Quand on voudra.

THRASON.

Qu'un long discours déplaît !

GNATON.

Surtout, à mon avis, quand le dîner est prêt.

THAÏS.

Du zèle et du présent je lui suis obligée.

PARMENON.

870  
Le don ne vous tient pas vers mon maître engagée ;

S'il doit être payé, c'est du zèle sans plus.

GNATON.

Remettons à tantôt ces discours superflus ;

Il n'est pas maintenant saison de repartie.

THAÏS.

Tu me permettras bien d'ordonner à Pythie

875  
Que le soin de Pamphile à Doris soit commis.

GNATON.

Faites que Gnaton dîne, et tout vous est permis.

SCÈNE V.
Thrason, Gnaton, Parmenon.

PARMENON.

Pour un entremetteur, on te fait trop attendre :

Ce n'est point là le gré que tu pouvais prétendre ;

Et si j'avais reçu tel présent par Gnaton

880  
Il se verrait à table assis jusqu'au menton.

On ne devrait ici rendre aucune visite

Sans avoir un billet signé de Parasite ;

Il lui faut cependant mettre tout son espoir

À courir tout le jour pour déjeuner au soir.

885  
Pour moi, je ne crois pas qu'autre chose il attrape,

Si ce n'est que son roi le fasse un jour satrape,

Ou que, las de courir et battre le pavé,

Plus haut que son mérite, il se trouve élevé.

Que dis-tu de ces mots ? Ai-je su te le rendre

THRASON.

890  
Le coquin veut railler. Gnaton, va nous attendre ;

Je vais prendre Thaïs.

GNATON.

Laissez-moi cet emploi :

Un chef doit autrement tenir son quant-à-moi.

THRASON.

Adieu donc, Parmenon : tu diras à Phédrie

Que Thaïs, pour un temps, trouve bon qu'il l'oublie ;

895  
Que pour l'entretenir deux jours me sont assez.

PARMENON.

Ne vous en vantez point avant qu'ils soient passés.

SCÈNE VI.

PARMENON, demeuré seul.

Ceci pour notre eunuque assez bien se prépare.

Pendant qu'ils dîneront, il faut qu'il se déclare,

Prenne l'occasions et ne perde un moment

900  
À pousser des soupirs et languir vainement

Non que parlant d'amour il rencontre oeuvre faite :

Alors qu'on en vient là, toutes ont leur défaite :

Tel souvent en a peu qui croit en avoir tout,

Et même va bien loin sans aller jusqu'au bout.

905  
Que Pamphile d'ailleurs volontiers ne l'écoute,

Toute sage qu'elle est, je n'en fais point de doute :

C'est le propre du sexe, il veut être flatté,

Et se plaît aux effets que produit sa beauté.

Puis notre homme a de quoi charmer la plus sévère :

910  
Il est jeune, il est beau, toujours prêt à tout faire ;

En dit plus qu'on ne veut, sait bien le débiter,

Est d'humeur libérale, et donne sans compter.

Si par ces qualités d'abord il ne la touche,

Le temps, qui peut gagner l'esprit le plus farouche,

915  
Ne lui permettra pas d'y faire un long effort,

Et ce peu de loisir m'embarrasse très fort :

je crains notre vieillard, qu'on attend d'heure en heure.

Il n'a jamais aux champs fait si longue demeure ;

Quelque charme puissant l'y retient arrêté ;

920  
S'il revient une fois, le mystère est gâté.

Ô dieux ! C'est fait de nous, le voici qui s'avance ;

Je ne sais quel frisson m'annonçait sa présence.

Parmenon, cependant que tout seul il discourt,

Va te précipiter, ce sera ton plus court ;

925  
Qui pourrait toutefois choisir une autre voie ?

Le vieillard est plus doux qu'il ne veut qu'on le croie :

L'amour pour ses enfants, qu'il laisse à l'abandon,

Fait qu'il me reste encor quelque espoir de pardon ;

Usons à cet abord d'un peu de complaisance. 

A SUIVRE
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